jeudi 12 mars 2015

L'expérience - une dissertation (terminale technologique) : Peut-on contredire l'expérience ?

Sujet : Peut-on contredire l’expérience ?

   On attend généralement de l’expérience qu’elle nous instruise et qu’elle nous donne une solution à nos questions théoriques ou pratiques. Dès lors, s’il est possible de contredire grâce à l’expérience une théorie, il paraît absurde de contredire l’expérience.
   Et pourtant, force est de constater qu’on n’hésite pas à rejeter parfois l’expérience comme étant trompeuse. Ne pense-t-on pas qu’il est vrai que la Terre tourne autour du Soleil malgré l’expérience contraire ?
   Dès lors, on peut se demander à quelles conditions il serait possible de contredire l’expérience ?

Si par expérience, on entend simplement ce qui se présente à nous, ce qui se donne dans la perception, alors, s’il est vrai qu’on ne peut contredire une expérience en elle-même, il est toujours possible de la contredire au nom d’une autre expérience. Aussi n’est-ce pas l’expérience que l’on peut contredire. Au contraire, c’est elle qui permet de contredire légitimement une théorie.
En effet, il ne suffit pas de tenir un discours cohérent pour qu’il soit vrai. Dès lors, comme Russell le soutient dans ses Problèmes de philosophie, ce n’est pas la croyance entendue simplement comme affirmation de la vérité qui est en elle-même vraie, mais elle est vraie étant donné le fait sur lequel elle porte.
Or, seule l’expérience est susceptible de nous donner des faits et donc de rendre vraies nos croyances ou nos théories. Le fait n’est pas l’expérience vécue que nul ne peut contredire mais dont nul ne peut se targuer. En effet, si j’affirme voir des soucoupes volantes, il y a bien là une expérience vécue mais non une expérience car, celle-ci doit pouvoir être refaite ou penser de façon universelle. Même l’événement historique est de cet ordre puisque l’assassinat de Jules César est une croyance fondée sur des témoignages fiables à la différence d’un quelconque miracle d’Esculape.
Cependant, reste à savoir quelle expérience choisir ? Ne faut-il donc pas contredire l’expérience si elle donne des résultats différents selon les faits ou bien est-elle autre chose que la simple perception d’un fait ?

Par expérience, il ne faut donc pas entendre la simple perception, mais plutôt la répétition des mêmes séries de perception. C’est pour cela que l’expérience repose sur la relation de cause à effet ou, pour le dire autrement, est de nature inductive. Si donc je rejette telle perception possible, par exemple que le corps de mon ami est habité par un esprit malin, c’est parce que toutes mes perceptions se sont ordonnées à la liaison entre un corps et un certain caractère.
On peut donc dire avec Russell dans Les problèmes de la philosophie (chapitre 6) que le principe d’induction est une condition pour valider nos propositions qui portent sur les faits. Dès lors, l’expérience entendue comme le résultat de la liaison non seulement de toutes nos perceptions mais également de celles des autres est la condition qui nous permet de soutenir certaines vérités. Peut-on la contredire ?
Or, comme Hume l’a montré dans l’Enquête sur l’entendement humain (1748), il n’y a rien de logique à s’attendre dans le futur à ce que se réalise ce qui, jusque là est apparu. Dès lors, c’est bien plutôt l’habitude ou la coutume qui nous amène à nous attendre à ce que le pain qui nous a nourri le fasse encore ou que le soleil se lève demain. On peut donc contredire l’expérience en général, non pas en prétendant qu’elle est fausse, mais en faisant remarquer qu’elle ne repose sur rien de rationnel.
Néanmoins, l’expérience joue un rôle dans la découverte de la vérité en science. Dès lors, ne peut-on pas penser qu’elle ne consiste pas tant à la simple répétition de faits qu’en une élaboration afin de tester des hypothèses ?

En effet, c’est plutôt comme conception d’un fait possible que l’expérience est mise en œuvre en science. Comme le soutient Bachelard dans Le nouvel esprit scientifique (1934), la démarche du scientifique ne consiste pas à s’en tenir à l’expérience commune. La contredire est bien plutôt un devoir pour un scientifique. Or, comment si ce n’est par l’expérience ?
En réalité, dans la mesure où il ne cherche pas à confirmer une théorie mais où il cherche plutôt à varier les conditions de l’expérience, bref, à interroger, le scientifique est toujours dans l’activité de contredire l’expérience, condition pour qu’il puisse apprendre.
En effet, pour tester une théorie qui a déjà reçu la sanction de l’expérience, il faut précisément la contredire, c’est-à-dire considérer qu’elle n’est pas simplement ce qui est donnée ou ce qui résulte de la répétition du donné mais toujours déjà construite sur des théories ou des hypothèses discutables. Ainsi, l’expérience ne s’oppose pas simplement à la pensée, elle est empreinte de pensées. Il n’y a pas d’expérience brute ou pure soutient Popper dans Conjectures et réfutations : par conséquent, contredire telle expérience ou l’expérience en elle-même, c’est refuser d’en faire le principe d’une vérité éternelle.

Au total, le problème était qu’il paraissait absurde de contredire l’expérience par l’expérience mais qu’on ne pouvait faire autrement. Tant qu’on en reste à une conception de l’expérience qui en fait une simple perception, voire la répétition de perceptions, le problème est finalement insoluble. Dès lors, pour qu’il soit possible sans contradiction de contredire l’expérience, il est nécessaire de la penser non pas comme quelque chose qui se donne mais comme ce qui se fait par une activité à la fois pratique et théorique en vue non de se rassurer, mais au contraire de s’inquiéter de l’étrangeté du monde.



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