lundi 30 novembre 2015

Descartes, Les passions de l'âme, analyse de l'article 11

Texte.
Art. 11. Comment se font les mouvements des muscles.
Car la seule cause de tous les mouvements des membres est que quelques muscles s’accourcissent et que leurs opposés s’allongent, ainsi qu’il a déjà été dit ; et la seule cause qui fait qu’un muscle s’accourcit plutôt que son opposé est qu’il vient tant soit peu plus d’esprits du cerveau vers lui que vers l’autre. Non pas que les esprits qui viennent immédiatement du cerveau suffisent seuls pour mouvoir ces muscles, mais ils déterminent les autres esprits qui sont déjà dans ces deux muscles à sortir tous fort promptement de l’un d’eux et passer dans l’autre ; au moyen de quoi celui d’où ils sortent (336) devient plus long et plus lâche ; et celui dans lequel ils entrent, étant promptement enflé par eux, s’accourcit et tire le membre auquel il est attaché. Ce qui est facile à concevoir, pourvu que l’on sache qu’il n’y a que fort peu d’esprits animaux qui viennent continuellement du cerveau vers chaque muscle, mais qu’il y en a toujours quantité d’autres enfermés dans le même muscle qui s’y meuvent très vite, quelquefois en tournoyant seulement dans le lieu où ils sont, à savoir, lorsqu’ils ne trouvent point de passages ouverts pour en sortir, et quelquefois en coulant dans le muscle opposé. D’autant qu’il y a de petites ouvertures en chacun de ces muscles par où ces esprits peuvent couler de l’un dans l’autre, et qui sont tellement disposées que, lorsque les esprits qui viennent du cerveau vers l’un d’eux ont tant soit peu plus de force que ceux qui vont vers l’autre, ils ouvrent toutes les entrées par où les esprits de l’autre muscle peuvent passer en celui-ci, et ferment en même temps toutes celles par où les esprits de celui-ci peuvent passer en l’autre ; au moyen de quoi tous les esprits contenus auparavant en ces deux muscles s’assemblent en l’un d’eux fort promptement, et ainsi l’enflent et l’accourcissent, pendant que l’autre s’allonge et se relâche.
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
L’article analyse comme son titre l’indique le mouvement des muscles. Pour qu’il soit possible, il faut qu’un muscle se raccourcisse pendant que le muscle qui lui est lié s’allonge. La raison du raccourcissement ou de l’allongement d’un muscle est dans la quantité d’esprits animaux qui lui advient. Plus exactement, plus il y a d’esprits animaux dans un muscle, plus il se raccourcit. Pourquoi cet effet ? Qu’est-ce qui montre la réalité de cet effet ?
Descartes veut expliquer que le mouvement des esprits ne vient pas uniquement du cerveau. Ceux du cerveau produisent un mouvement dans ceux qui sont dans les muscles, mouvement dû à une poussée selon le schéma mécanique d’un mouvement qui implique nécessairement le contact. Les esprits animaux venant du cerveau viennent chasser ceux d’un premier muscle qui, entrant dans le second, font gonfler celui-ci et donc le raccourcisse alors que le mouvement allonge le premier. Pourquoi ce mouvement de poussée s’arrête dans le second muscle ?
Pour l’expliquer Descartes invoque des esprits qui sont constamment dans les muscles et qui en sortent par des entrées ou sorties qui s’ouvrent ou se ferment selon le mouvement des esprits animaux.
Dans cet article, Descartes ne précise pas la localisation des esprits animaux dans les muscles. On peut supposer qu’ils sont dans les nerfs et que le gonflement ou le raccourcissement du muscle est celle des nerfs qui le traverse. Dès lors le muscle par lui-même n’a aucune fonction. C’est un morceau de chair inerte.
En outre, tous les muscles paraissent identiques pour Descartes.


samedi 28 novembre 2015

Descartes, Les passions de l'âme, analyse de l'article 10

Texte.
Art. 10. Comment les esprits animaux sont produits dans le cerveau.
Mais ce qu’il y a ici de plus considérable, c’est que toutes les plus vives et plus subtiles parties du sang que la chaleur a raréfiées dans le cœur entrent sans cesse en grande quantité dans les cavités du cerveau. Et la raison qui fait qu’elles y vont plutôt qu’en aucun autre lieu, est que tout le sang qui sort du cœur par la grande artère prend son cours en ligne droite vers ce lieu-là, et que, n’y pouvant pas tout entrer, à cause qu’il n’y a que des passages fort étroits, celles de ses parties qui sont les plus agitées et les plus subtiles y passent seules pendant que le reste se répand en tous les autres endroits du corps. Or, ces parties du sang très subtiles composent les esprits animaux. Et elles n’ont besoin à cet effet de recevoir aucun autre changement dans le cerveau, sinon qu’elles y sont séparées des autres parties du sang moins subtiles. Car ce que je nomme ici des esprits ne sont que des corps, et ils (335) n’ont point d’autre propriété sinon que ce sont des corps très petits et qui se meuvent très vite, ainsi que les parties de la flamme qui sort d’un flambeau. En sorte qu’ils ne s’arrêtent en aucun lieu, et qu’à mesure qu’il en entre quelques-uns dans les cavités du cerveau, il en sort aussi quelques autres par les pores qui sont en sa substance, lesquels pores les conduisent dans les nerfs, et de là dans les muscles, au moyen de quoi ils meuvent le corps en toutes les diverses façons qu’il peut être mû.
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
Descartes analyse un point qu’il présente comme important dans sa physiologie, il s’agit de la formation des esprits animaux.
Il commence par poser que des parties définies comme les plus vives et les plus subtiles du sang qui proviennent de la raréfaction produite dans le cœur entrent dans le cerveau. Comment se mesure la vivacité ou la subtilité des parties du sang ? Comment s’établit ce trajet ?
Une explication apparemment mécanique vient expliquer ce trajet particulier. D’une part, les parties du sang qui sortent de la grande artère vont tout droit. L’étroitesse des passages explique seule que les seules parties subtiles y pénètrent. D’où vient cette subtilité ? La question demeure. Les parties subtiles sont les esprits animaux.
Dans le cerveau, les esprits animaux ne changent pas. Autrement dit, il y a là un organe dont la fonction est purement passive. Les esprits animaux se distinguent des autres parties non subtiles du sang.
Descartes précise que les esprits – contrairement à leur nom – sont des corps dont les propriétés sont donc la vivacité et la subtilité. Ils les comparent aux parties de la flamme qui sortent du flambeau. De même que le cœur a un feu qui ne brûle pas, les esprits animaux ont la vivacité et la subtilité des parties de la flamme sans en avoir les effets. La comparaison vient seulement donner une idée de ce que sont les esprits animaux ou esprits tout court. Aucune indication n’est donnée pour permettre d’en constater, ne serait-ce qu’indirectement, l’existence.
Les esprits animaux ne restent pas dans le cerveau. D’autres les font sortir. De là ils passent dans les nerfs puis dans les muscles, ce qui permet de mouvoir le corps. Cette explication mécanique du mouvement est pour l’instant très frustre et guère de nature à rendre compte de sa direction.
Le cerveau donc ne joue qu’un rôle de réceptacle. Par lui-même, il n’opère aucun effet.


mercredi 25 novembre 2015

Textes pour un sujet : Y a-t-il un plaisir à désirer?

Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même ; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède, l’illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être existant par lui-même, il n’y a plus rien de beau que ce qui n’est pas.
Si cet effet n’a pas toujours lieu sur les objets particuliers de nos passions, il est infaillible dans le sentiment commun qui les comprend toutes. Vivre sans peine n’est pas un état d’homme ; vivre ainsi c’est être mort. Celui qui pourrait tout sans être Dieu serait une misérable créature ; il serait privé du plaisir de désirer ; toute autre privation serait plus supportable.
Rousseau, Julie ou La nouvelle Héloïse (1761), VI° partie, Lettre VIII.




Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. (128) Car nous faisons tout afin d’éviter la douleur physique et le trouble de l’âme. Lorsqu’une fois nous y avons réussi, toute l’agitation de l’âme tombe, l’être vivant n’ayant plus à s’acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l’âme et celui du corps. Nous n’avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; et quand nous n’éprouvons pas de douleur nous n’avons plus besoin du plaisir. C’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. (…)
C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer. En effet, des mets simples donnent un plaisir égal à celui d’un régime somptueux si toute la douleur causée par le besoin est supprimée, (131) et, d’autre part, du pain d’orge et de l’eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation. L’habitude d’une nourriture simple et non pas celle d’une nourriture luxueuse, convient donc pour donner la pleine santé, pour laisser à l’homme toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie, pour nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous les faisons après des intervalles de vie frugale, enfin pour nous mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune. Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. (132) Car ce n’est pas une suite ininterrompue de jours passés à boire et à manger, ce n’est pas la jouissance des jeunes garçons et des femmes, ce n’est pas la saveur des poissons et des autres mets que porte une table somptueuse, ce n’est pas tout cela qui engendre la vie heureuse, mais c’est le raisonnement vigilant, capable de trouver en toute circonstance les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter, et de rejeter les vaines opinions d’où provient le plus grand trouble des âmes.
Epicure, Lettre à Ménécée (III° av. J.-C.)




PROPOSITION IX. L’Âme, en tant qu’elle a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu’elle a des idées confuses, s’efforce de persévérer dans son être pour une durée indéfinie et a conscience de son effort.
DÉMONSTRATION. L’essence de l’Âme est constituée par des idées adéquates et des inadéquates (comme nous l’avons montré dans la Prop. 3) ; par suite (Prop. 7), elle s’efforce de persévérer dans son être en tant qu’elle a les unes et aussi en tant qu’elle a les autres ; et cela (Prop. 8) pour une durée indéfinie. Puisque, d’ailleurs, l’Âme (Prop. 23, p. II), par les idées des affections du Corps, a nécessairement conscience d’elle-même, elle a (Prop. 7) conscience de son effort. C.Q.F.D.
SCOLIE. Cet effort, quand il se rapporte à l’Âme seule, est appelé Volonté ; mais, quand il se rapporte à la fois à l’Âme et au Corps, est appelé Appétit ; l’appétit n’est par là rien d’autre que l’essence même de l'homme, de la nature de laquelle suit nécessairement ce qui sert à sa conservation ; et l’homme est ainsi déterminé à le faire. De plus, il n’y a nulle différence entre l’Appétit et le Désir, sinon que le Désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le Désir est l’Appétit avec conscience de lui-même. Il est donc établi par tout cela que nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n’appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons.
Spinoza, (1632-1677), Éthique (1677 posthume), III, proposition 9 et scolie.




Socrate. – Considère si tu ne pourrais pas assimiler chacune de ces deux vies, la tempérante et l’incontinente, au cas de deux hommes, dont chacun posséderait de nombreux tonneaux, l’un des tonneaux en bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait et beaucoup d’autres remplis d’autres liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme n’y verserait plus rien, ne s’en inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. L’autre aurait, comme le premier, des liqueurs qu’il pourrait se procurer, quoique avec peine, mais n’ayant que des tonneaux percés et fêlés, il serait forcé de les remplir jour et nuit sans relâche, sous peine des plus grands ennuis. Si tu admets que les deux vies sont pareilles au cas de ces deux hommes, est ce que tu soutiendras que la vie de l’homme déréglé est plus heureuse que celle de l’homme réglé ? Mon allégorie t’amène t elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie déréglée, ou n’es-tu pas convaincu ?
Calliclès – Je ne le suis pas, Socrate. L’homme aux tonneaux pleins n’a plus aucun plaisir, et c’est cela que j’appelais tout à l’heure vivre à la façon d’une pierre, puisque, quand il les a remplis, il n’a plus ni plaisir ni peine ; mais ce qui fait l’agrément de la vie, c’est d’y verser le plus qu’on peut.
Socrate. –Mais si l’on y verse beaucoup, n’est il pas nécessaire qu’il s’en écoule beaucoup aussi et qu’il y ait de larges trous pour les écoulements ?
Calliclès –Bien sûr.
Socrate. – Alors, c’est la vie d’un pluvier que tu vantes, non celle d’un mort ni d’une pierre.

Platon, Gorgias (IV° av. J.-C.)

dimanche 22 novembre 2015

Hume, Enquête sur l’entendement humain. Plan analytique Section IV Doutes sceptiques sur les opérations de l’entendement. Première partie.

Hume, Enquête sur l’entendement humain, traduction par André Leroy, présentation par Michelle Beyssade, GF n°1305.

Plan analytique

Section IV Doutes sceptiques sur les opérations de l’entendement.
Deuxième partie.
Hume montre que la difficulté reste entière car nos raisonnements relatifs aux faits viennent de la causalité, et si la causalité est fondée sur l’expérience, il reste à se demander sur quoi est fondée l’expérience elle-même (p.91-92).
Hume annonce sa thèse dans cette partie : même une fois acquis l’expérience de la causalité, le raisonnement n’en fonde pas la validité (p.92).
Notre ignorance des pouvoirs de la nature conduit à rendre infondée l’inférence du passé au futur qui se trouve dans les raisonnements qui se font sur la base de l’expérience car il manque un moyen terme entre la prémisse : l’expérience passée montre une certaine conjonction de faits et la conclusion, l’expérience future montrera la même conjonction (p.92-94).
Hume précise que l’argument négatif dans sa nouveauté exige beaucoup d’attention de sorte qu’il va le détailler pour pouvoir rendre pleinement satisfaisant ce qui n’est qu’un argument négatif qui laisse l’espoir d’une découverte (p.94).
Il distingue soutient-il deux types de raisonnements : les démonstratifs qui portent sur des idées et les raisonnements moraux qui portent sur les faits. Il n’y a pas de démonstration de l’inférence fondée sur l’expérience car il n’est pas contradictoire que le cours de la nature change, ce qu’il illustre par divers exemples (p.94-95).
Concernant les raisonnements moraux, on ne peut prouver par l’expérience, même de façon probable, l’inférence du passé au futur sans cercle vicieux puisque c’est elle qui fonde les raisonnements sur les faits (p.95).
Si l’expérience est le seul guide dans l’action, la philosophie peut questionner son fondement. Le problème se pose en ce que si la raison fondait le raisonnement expérimental, un seul cas suffirait. Or, il faut de nombreux cas qui sont pourtant semblables au premier pour arriver à s’appuyer sur l’expérience. Hume avoue qu’il ne saisit pas le raisonnement qui permet un traitement différent de ce qui est finalement semblable (p.95-96).
Hume envisage alors une autre explication qu’on pourrait donner : c’est d’une multiplicité d’expériences qu’on peut inférer légitimement du passé au futur. Il la réfute en rappelant notre ignorance des pouvoirs cachés des corps. Dès lors, comme de l’expérience passée à l’expérience future, il y a un pas et non une tautologie, il faudrait que l’inférence soit intuitive ou démonstrative. Or, ce n’est pas le cas. Quant à l’explication par l’expérience, elle est une pétition de principe (p.96-98).
Hume envisage la possibilité qu’il n’ait pas trouvé la bonne explication et qu’elle puisse se trouver ultérieurement comme pour d’autres solutions négatives. Il va montrer qu’il n’en est rien (p.98).
Comme le raisonnement qui conclut de l’expérience passé à l’expérience est utilisé par des paysans même stupides, des enfants, voire des animaux – ce que la section IX La raison des animaux examinera –, s’il existe, on doit pouvoir le mettre en lumière. Comme ce n’est pas le cas, il n’y en a pas (p.98-99).


Descartes, Les passions de l'âme, analyse de l'article 9

Texte.
Art. 9. Comment se fait le mouvement du cœur.
Son premier effet est qu’il dilate le sang dont les cavités du cœur sont remplies ; ce qui est cause que ce sang, ayant besoin d’occuper un plus grand lieu, passe avec impétuosité de la cavité droite dans la veine artérieuse, et de la gauche dans la grande artère ; puis, cette dilatation cessant, il entre incontinent de nouveau sang de la veine cave en la cavité droite du cœur, et de l’artère veineuse en la gauche. Car il y a de petites peaux aux entrées de ces quatre vaisseaux, tellement disposées qu’elles font que le sang ne peut entrer dans le cœur (334) que par les deux derniers ni en sortir que par les deux autres. Le nouveau sang entré dans le cœur y est incontinent après raréfié en même façon que le précédent. Et c’est en cela seul que consiste le pouls ou battement du cœur et des artères ; en sorte que ce battement se réitère autant de fois qu’il entre de nouveau sang dans le cœur. C’est aussi cela seul qui donne au sang son mouvement, et fait qu’il coule sans cesse très vite en toutes les artères et les veines, au moyen de quoi il porte la chaleur qu’il acquiert dans le cœur à toutes les autres parties du corps, et il leur sert de nourriture.
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.

Descartes assigne comme premier effet de son feu cardiaque une dilatation du sang situé dans les cavités du cœur qui exige alors qu’il a besoin de plus de place. Il explique ainsi le mouvement de la cavité droite dans la veine artérieuse et de la cavité gauche dans la grande artère. Pourquoi tout le sang sort et non la partie surnuméraire, le feu cardiaque ne l’explique pas. À l’inverse, la dilatation cesse et le sang emplit à nouveau les cavités. On ne voit pas trop pourquoi la dilatation cesse. De petites peaux expliquent l’entrée du sang. Mais Descartes n’explique nullement l’alternance des mouvements. Il prétend ainsi rendre compte des battements du pouls par cette entrée et cette dilatation.
Enfin Descartes prétend ainsi expliquer le mouvement du sang qui apporte au corps sa chaleur et ses nutriments.
On a pu remarquer que pour Descartes c’est la dilatation qui explique l’éjection du sang et la contraction le mouvement inverse, ce qui est contraire à l’explication de la circulation du sang qui était celle de Harvey. On a pu avancer que c’est pour des raisons purement philosophiques, par mécanisme stricte que Descartes élimine la vertu de pulsion qu’Harvey attribuait au cœur en le considérant comme un muscle, cette vertu étant pour Harvey un moyen de rendre compte du mouvement.
Il n’en reste pas moins que l’hypothèse d’un feu qui ne brûle pas comme cause du mouvement ne paraît pas une explication mécanique. Abstraction faite d’une psychanalyse de l’esprit de Descartes à la façon de Gaston Bachelard qui resterait à faire (cf. Bachelard, La psychanalyse du feu, 1938), l’explication cartésienne est une explication ad hoc sans aucune tentative de vérification expérimentale. Que son feu cardiaque transporte la chaleur au corps montre qu’il lui attribue des effets trop nombreux pour que l’explication soit précise.


samedi 21 novembre 2015

Descartes, Les passions de l'âme, analyse de l'article 8

Texte.
Art. 8. Quel est le principe de toutes ces fonctions.
Mais on ne sait pas communément en quelle façon ces esprits animaux et ces nerfs contribuent aux mouvements et aux sens, ni quel est le principe corporel qui les fait agir. C’est pourquoi, encore que j’en aie déjà touché quelque chose en d’autres écrits, je ne laisserai pas de dire ici succinctement que, pendant que nous vivons, il y a une chaleur continuelle en notre cœur, qui est une espèce de feu que le sang des veines y entretient, et que ce feu est le principe corporel de tous les mouvements de nos membres.
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
Cet article vise à poser le principe général de tous les mouvements du vivant. Descartes l’attribue aux esprits animaux et aux nerfs. Ce sont eux qui font le mouvement du vivant. L’appareil nerveux peut-on dire est fondamental.
Renvoyant à ces autres écrits – sans d’ailleurs les indiquer, le lecteur averti de l’époque dispose du Discours de la méthode (1637, V° partie) – Descartes pose que le principe du mouvement, le premier moteur en quelque sorte de la machine du corps est « une espèce de feu » qu’il situe dans le corps et non le cerveau d’où partent tous les nerfs selon l’article 7. Le feu est entretenu comme tous les feux par un combustible, le sang des veines. Mais ce feu fantastique ne s’arrête pas et le combustible se régénère : il ne se consume pas.
Bref, l’explication ne paraît guère fondée sur une expérimentation probante. Aussi curieusement Descartes refuse l’explication du mouvement du cœur comme celui d’une pompe qui était celle de Harvey qui n’est pas cité dans cet article, qui est pourtant une explication mécanique, pour introduire avec son « espèce de feu » une sorte d’âme matérielle dans le vivant.


Descartes, Les passions de l'âme, analyse de l'article 7

Texte.
Art. 7. Brève explication des parties du corps, et de quelques-unes de ses fonctions.
Pour rendre cela plus intelligible, j’expliquerai ici en peu de mots toute la façon dont la machine de notre corps est composée. Il n’y a personne qui ne sache déjà qu’il y a en nous un cœur, un cerveau, un estomac, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et choses semblables. On sait aussi que les viandes qu’on mange descendent dans l’estomac et dans les boyaux, d’où leur suc, coulant dans le foie et dans toutes les veines, se mêle avec le sang qu’elles contiennent, et par ce moyen en augmente la quantité. Ceux qui ont tant soit peu ouï parler de la médecine savent, outre cela, comment le cœur est composé et comment tout le sang des veines peut facilement couler de la veine cave en son côté droit, et de là passer dans le poumon par le vaisseau qu’on nomme la veine artérieuse, puis retourner du poumon dans le côté gauche du cœur par le vaisseau nommé l’artère veineuse, et enfin passer de là dans la (332) grande artère, dont les branches se répandent par tout le corps. Même tous ceux que l’autorité des anciens n’a point entièrement aveuglés, et qui ont voulu ouvrir les yeux pour examiner l’opinion d’Hervaeus touchant la circulation du sang, ne doutent point que toutes les veines et les artères du corps ne soient comme des ruisseaux par où le sang coule sans cesse fort promptement, en prenant son cours de la cavité droite du cœur par la veine artérieuse, dont les branches sont éparses en tout le poumon et jointes à celles de l’artère veineuse, par laquelle il passe du poumon dans le côté gauche du cœur ; puis de là il va dans la grande artère, dont les branches, éparses par tout le reste du corps, sont jointes aux branches de la veine cave, qui portent derechef le même sang en la cavité droite du cœur ; en sorte que ces deux cavités sont comme des écluses par chacune desquelles passe tout le sang à chaque tour qu’il fait dans le corps. De plus, on sait que tous les mouvements des membres dépendent des muscles, et que ces muscles sont opposés les uns aux autres, en telle sorte que, lorsque l’un d’eux s’accourcit, il tire vers soi la partie du corps à laquelle il est attaché, ce qui fait allonger au même temps le muscle qui lui est opposé ; puis, s’il arrive en un autre temps que ce dernier s’accourcisse, il fait que le premier se rallonge, et il retire vers soi la partie à laquelle ils sont attachés. Enfin on sait que tous ces mouvements des muscles, comme aussi tous les sens, dépendent des nerfs, qui sont comme de petits filets ou comme de petits tuyaux qui viennent tous du cerveau, et contiennent ainsi que lui un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits animaux. (333)
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
De l’article 7 à l’article 16, Descartes fait un exposé de physiologie.
Cet article propose une explication que nous appellerions biologique mais qui pour Descartes appartient à la physique dans la mesure où ces sortes de machines ou plutôt d’automates que sont les vivants s’expliquent physiquement pour Descartes.
Notre corps est nommé directement nommé « machine » de sorte qu’il faut prendre la machine non comme un modèle mais comme l’essence même du corps vivant.
Descartes énumère d’abord certaines parties du corps : « un cœur, un cerveau, un estomac, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et choses semblables ».
Il explique ensuite la nutrition. Les nourritures qui vont dans l’estomac se mêlent au sang.
Il décrit ensuite la circulation du sang à partir du corps s’appuyant sur ce que ses lecteurs ont pu entendre de la médecine, ciblant en priorité ceux qui ne sont pas obnubilés par les préjugés des anciens et qui connaissent les thèses de son contemporain William Harvey (1578-1657). Descartes décrit une seconde fois la circulation, le rôle des artères et des veines et comment tout le corps est ainsi concerné.
Il passe ensuite à une description du mouvement des muscles dans leur opposition.
Enfin, il présente le rôle des nerfs qui viennent du cerveau et dans lesquels circulent les esprits animaux qu’il définit « un certain air ou vent très subtil », bref, quelque chose d’inobservable. On est assez loin dans le détail de la conception actuelle des nerfs. Les linéaments du réflexe ne sont peut-être même pas présents comme Georges Canguilhem (1904-1995) a essayé de le montrer dans La formation du concept de réflexe au XVII° et au XVIII° siècles (1955).
Le style de l’explication est strictement mécanique, autrement dit tout se passe par mouvement qui implique le contact et sans que soient invoquées des âmes, entéléchies ou des intentions.

Le corps se présente ainsi avec une certaine indépendance par rapport aux autres corps même s’il est impossible de créditer Descartes de l’invention de la notion de milieu intérieur dont se prévaudra Claude Bernard (1813-1878).

vendredi 20 novembre 2015

Textes : L'expérience scientifique comme réponse à une question posée à la nature

Même je remarquais, touchant les expériences, qu’elles sont d’autant plus nécessaires qu’on est plus avancé en connaissance. Car, pour le commencement, il vaut mieux ne se servir que de celles qui se présentent d’elles-mêmes à nos sens, et que nous ne saurions ignorer, pourvu que nous y fassions tant soit peu de réflexion, que d’en chercher de plus rares et étudiées : dont la raison est que ces plus rares trompent souvent, lorsqu’on ne sait pas encore les causes des plus communes, et que les circonstances dont elles dépendent sont quasi toujours si particulières et si petites, qu’il est très malaisé de les remarquer. Mais l’ordre que j’ai tenu en ceci a été tel. Premièrement, j’ai tâché de trouver en général les principes, ou premières causes, de tout ce qui est, ou qui peut être, dans le monde, sans rien considérer, pour cet effet, que Dieu seul, qui l’a créé, ni les tirer d’ailleurs que de certaines semences de vérités qui sont naturellement en nos âmes. Après cela, j’ai examiné quels étaient les premiers et plus ordinaires effets qu’on pouvait déduire de ces causes : et il me semble que, par là, j’ai trouvé des cieux, des astres, une Terre, et même, sur la terre, de l’eau, de l’air, du feu, des minéraux, et quelques autres telles choses qui sont les plus communes de toutes et les plus simples, et par conséquent les plus aisées à connaître. Puis, lorsque j’ai voulu descendre à celles qui étaient plus particulières, il s’en est tant présenté à moi de diverses, que je n’ai pas cru qu’il fût possible à l’esprit humain de distinguer les formes ou espèces de corps qui sont sur la terre d’une infinité d’autres qui pourraient y être, si c’eût été le vouloir de Dieu de les y mettre, ni, par conséquent, de les rapporter à notre usage, si ce n’est qu’on vienne au-devant des causes par les effets, et qu’on se serve de plusieurs expériences particulières. En suite de quoi, repassant mon esprit sur tous les objets qui s’étaient jamais présentés à mes sens, j’ose bien dire que je n’y ai remarqué aucune chose que je ne pusse assez commodément expliquer par les principes que j’avais trouvés. Mais il faut aussi que j’avoue que la puissance de la Nature est si ample et si vaste, et que ces principes sont si simples et si généraux, que je ne remarque quasi plus aucun effet particulier, que d’abord je ne connaisse qu’il peut en être déduit en plusieurs diverses façons, et que ma plus grande difficulté est d’ordinaire de trouver en laquelle de ces façons il en dépend. Car à cela je ne sais point d’autre expédient, que de chercher derechef quelques expériences, qui soient telles, que leur événement ne soit pas le même, si c’est en l’une de ces façons qu’on doit l’expliquer, que si c’est en l’autre.
Descartes, Discours de la méthode, VI° partie (1637).




Quand GALILÉE fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d’accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté, quand TORRICELLI fit supporter à l’air un poids qu’il savait lui-même d’avance être égal à celui d’une colonne d’eau à lui connue (…) ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de lois, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginée d’après ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qu’il plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge en fonctions qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose. La Physique est donc ainsi redevable de la révolution si profitable opérée dans sa méthode uniquement à cette idée qu’elle doit chercher dans la nature – et non pas faussement imaginer en elle – conformément à ce que la raison y transporte elle-même, ce qu’il faut qu’elle apprenne et dont elle ne pourrait rien connaître par elle-même. C’est par là seulement que la Physique a trouvé tout d’abord la sûre voie d’une science, alors que depuis tant de siècles elle en était restée à de simples tâtonnements.
Kant, Critique de la raison pure, Préface de la deuxième édition (1787).









Dans une règle, ou plus exactement dans un chevron de bois, long d’environ douze coudées, large d’une demi-coudée et épais de 3 doigts, nous creusions un petit canal d’une largeur à peine supérieure à un doigt, et parfaitement rectiligne ; après avoir garni d’une feuille de parchemin bien lustrée pour le rendre aussi glissant que possible, nous y laissions rouler une boule de bronze très dure, parfaitement arrondie et polie. Plaçant alors l’appareil dans une position inclinée, en élevant l’une de ses extrémités, d’une coudée ou deux au-dessus de l’horizon, nous laissions, comme je l’ai dit, rouler la boule en notant (…) le temps nécessaire à une descente complète ; l’expérience était recommencée plusieurs fois afin de déterminer exactement la durée du temps, mais sans que nous découvrissions jamais de différence supérieure au dixième d’un battement de pouls. La mise en place de cette première mesure étant accomplie, nous faisions descendre la boule sur le quart du canal seulement : le temps mesuré était toujours rigoureusement égal à la moitié du temps présent. Nous faisions ensuite varier l’expérience en comparant le temps requis pour parcourir sa moitié ou les deux-tiers, ou les trois-quarts, ou toute autre fraction ; dans ces expériences répétées une bonne centaine de fois, nous avons toujours trouvé que les espaces parcourus étaient entre eux comme les carrés des temps, et cela, quelle que soit l’inclinaison du plan, c’est-à-dire du canal dans lequel on laissait descendre la boule. Pour mesurer le temps, nous prenions un grand seau d’eau que nous attachions assez haut ; par un orifice étroit pratiqué dans son fond s’échappait un mince filet d’eau que l’on recueillait dans un petit récipient, tout le temps que la boule descendait dans le canal. Les quantités d’eau ainsi recueillies étaient à chaque fois pesées à l’aide d’une balance très sensible, et les différences et proportions entre les poids nous donnaient les différences et proportions entre les temps ; la précision était telle que, comme je l’ai dit, aucune discordance significative n’apparut jamais entre ces opérations, maintes et maintes fois répétées.
Galilée, Discours concernant deux sciences nouvelles (1638).



J’ai expliqué précédemment comment je fus autrefois conduit à étudier le rôle du sucre dans la nutrition, et à rechercher le mécanisme de la destruction de ce principe alimentaire dans l’organisme. Il fallait, pour résoudre la question, rechercher le sucre dans le sang et le poursuivre dans les vaisseaux intestinaux qui l’avaient absorbé, jusqu’à ce qu’on pût constater le lieu de sa disparition. Pour réaliser mon expérience, je donnai à un chien une soupe au lait sucrée ; puis je sacrifiai l’animal en digestion, et je trouvai que le sang des vaisseaux sus-hépatiques, qui représente le sang total des organes intestinaux et du foie, renfermait du sucre. Il était tout naturel et, comme on dit, logique, de penser que ce sucre trouvé dans les veines sus-hépatiques était celui que j’avais donné à l’animal dans sa soupe. Je suis certain même que plus d’un expérimentateur s’en serait tenu là et aurait considéré comme superflu, sinon comme ridicule, de faire une expérience comparative. Cependant, je fis l’expérience comparative, parce que j’étais convaincu par principe de sa nécessité absolue : ce qui veut dire que je suis convaincu qu’en physiologie il faut toujours douter, même dans les cas où le doute semble le moins permis. Cependant je dois ajouter qu’ici l’expérience comparative était encore commandée par cette autre circonstance que j’employais, pour déceler le sucre, la réduction des sels de cuivre dans la potasse. C’est en effet là un caractère empirique du sucre, qui pouvait être donné par des substances encore inconnues de l’économie. Mais, je le répète, même sans cela il eût fallu faire l’expérience comparative comme une consigne expérimentale ; car ce cas même prouve qu’on ne saurait jamais prévoir quelle peut en être l’importance.
Je pris donc par comparaison avec le chien à la soupe sucrée un autre chien auquel je donnai de la viande à manger, en ayant soin qu’il n’entrât d’ailleurs aucune matière sucrée ou amidonnée dans son alimentation, puis je sacrifiai cet animal pendant la digestion, et j’examinai comparativement le sang de ses veines sus-hépatiques. Mais mon étonnement fut grand quand je constatai que ce sang contenait également du sucre chez l’animal qui n’en avait pas mangé.
On voit donc qu’ici l’expérience comparative m’a conduit à la découverte de la présence constante du sucre dans le sang des veines sus-hépatiques des animaux, quelle que soit leur alimentation. On conçoit qu’alors j’abandonnai toutes mes hypothèses sur la destruction du sucre pour suivre ce fait nouveau et inattendu. Je mis d’abord son existence hors de doute par des expériences répétées, et je constatai que chez les animaux à jeun, le sucre existait aussi dans le sang. Tel fut le début de mes recherches sur la glycogénie animale. Elles eurent pour origine, ainsi qu’on le voit, une expérience comparative faite dans un cas où l’on aurait pu s’en croire dispensé.
Claude Bernard (1813-1878), Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865).

jeudi 12 novembre 2015

Platon, Apologie de Socrate - plan analytique

L’édition utilisée est :
Platon, Apologie de Socrate, Criton, Phédon, traduction, introduction, notices et notes de Bernard et Renée Piettre, Le Livre de Poche, 1992.

Plan
I. L’apologie (= défense) de Socrate.
(« Comment mes accusateurs ont agi sur vous (…) et pour moi et pour vous. » 17a-35d)

Prologue.

(17a-18b).
A. Socrate dénonce le discours persuasif de ses accusateurs et leur beau langage. Il leur oppose son franc-parler sans fioriture qui ne vise que la vérité.
(« Comment (…) et celui de l’orateur est de dire la vérité. » 17a-18a)
B. Annonce de plan. Socrate va d’abord se défendre contre les anciennes accusations avant de se défendre contre l’acte d’accusation lui-même.
(« Pour commencer (…) accusateurs récents. » 18a-b)

Première partie : Les anciennes accusations (18b-24b).
A. Rumeurs.
(« C’est qu’ils se sont faits nombreux (…) Athéniens. » 18b-20c)
1) Exposition des anciennes accusations relatives à un Socrate prétendant connaître les phénomènes du ciel et souterrains, qui transforme les mauvaises causes en bonnes causes. Difficultés à les combattre.
(« C’est qu’ils se sont (…) loi et présenter ma défense. » 18b-19a)
a) Socrate expose craindre les anciens accusateurs qui en font un physicien et un sophiste.
(« C’est qu’ils se sont (…) ne croit pas non plus aux dieux. » 18b-c)
b) Les accusateurs anciens sont presque tous inconnus et ont œuvré dans l’enfance crédule des Athéniens.
(« Et puis, ces accusateurs-là  (…) sans que personne me réponde. » 18 c-d)
c) Socrate en conclut d’une part qu’il a bien deux types d’accusateurs contre lesquels il doit se défendre.
(« Considérez (…) des accusateurs récents, ici présents. » 18d-e°
d) Il en conclut d’autre part qu’il va lui être difficile de réussir sa défense.
(« Bien. (…) loi et présenter ma défense. » 18e-19a).
2) Défense contre les anciennes accusations.
(« Reprenons donc au début (…) Athéniens. » 19a-20c)
a) L’acte d’accusation : Socrate est un savant, un sophiste ou rhéteur et un professeur. Il apparaît dans la pièce d’Aristophane (450/445-~385 av. J.-C.) [Les Nuées, ~423 av. J.-C.].
(« Reprenons (…) ni petite. » 19a-c)
b) Socrate réfute l’idée qu’il possède une science quelconque en faisant appel au témoignage mutuel des membres de l’assistance.
(« Et ce que j’en dis (…) compte. » 19c-d)
c) À la différence de Gorgias (~483-~376 av. J.-C., rhéteur), Prodicos (V° av. J.-C., sophiste), Hippias (2ème moitié du V° av. J.-C., savant et sophiste) et Événos (V° av. J.-C., sophiste et poète), il n’éduque pas pour de l’argent. Il le montre en rapportant un dialogue qu’il a eu avec Callias à propos d’Événos.
(« C’est qu’en effet il n’y a rien de fondé là-dedans (…) Athéniens. » 19d-20c)
B. Delphes.
(« Bien entendu, l’un de vous pourrait me reprendre (…) que vous trouverez. » 20c-24b)
1) La question de l’origine des calomnies et la « sagesse d’homme » de Socrate.
(« Bien entendu, l’un de vous pourrait me reprendre (…) calomnier. » 20c-e)
2) Chéréphon, Apollon ; l’oracle, le témoin.
(« Je vous en prie, Athéniens, (…) puisque Chéréphon est mort. » 20e-21a)
3) L’énigme.
(« Examinez maintenant à quoi tend (…) ce qu’il voulait dire ; » 21b)
4) L’enquête ou le dialogue.
(« (…) à la longue, et non sans beaucoup de peine (…) j’avais profit à être comme j’étais. » 21b-22e)
a) Chez les politiques.
(« Je soumets donc mon homme à un examen complet (…) était irréfutable. » 21c-22a)
b) Chez les poètes.
(« En effet, après les hommes politiques (…) hommes politiques. » 22a-c)
c) Chez les gens de métier.
(« Pour finir, j’allai donc trouver les gens de métier. (…) j’avais profit à être comme j’étais. » 22c-e)
5) La solution de l’énigme et la poursuite de l’enquête : le Dieu a voulu dire que « la sagesse humaine a peu de valeur, et même aucune » (23a) : telle est la mission de Socrate.
(« Voilà l’enquête, Athéniens, d’où sont nées tant de haines contre moi (…) du dieu. » 22e-23c)
6) Les jeunes gens qui imitent Socrate ne sont pas des disciples.
(« De surcroît, les jeunes gens (…) du tout. » 23c)
7) Déduction des anciennes fausses accusations relatives à Socrate : il est confondu avec un sage ou un sophiste.
(« De là donc la colère de ceux (…) que vous trouverez. » 23c-24b)

Deuxième partie : Les nouvelles accusations (24b-34b)

(« Voilà donc contre les accusations de mes premiers accusateurs (…) que moi je dis vrai ? » 24b-34b)
A. L’acte d’accusation : « Socrate est coupable devant la justice de corrompre la jeunesse et de ne pas croire aux dieux qu’honore la cité, mais de croire en d’autres choses, des affaires de démon d’un nouveau genre. » 24b-c.
(« C’est maintenant contre Mélétos (…) par point. » 24b-c)
B. L’interrogation de Mélétos.
(« Ainsi donc, ce texte déclare (…) à moi. ». 24c-28b)
1) Sur la corruption de la jeunesse.
(« Ainsi donc (…) mêlé de ces questions. » 24c-26b)
a) Socrate annonce sa thèse : c’est Mélétos qui est coupable d’accuser sans rien connaître à la question de l’éducation.
(« Ainsi donc (…) vous le démontrer. » 24c)
b) Socrate entame le dialogue avec Mélétos. Après hésitation et erreur, ce dernier soutient que tous les juges, tous les Athéniens, sont compétents pour éduquer les jeunes. Socrate est le seul à corrompre la jeunesse.
(« Viens ici, Mélétos, et réponds (…) que je dis. » 24c-25a)

c) Socrate fait une analogie avec le dressage des chevaux pour démontrer la technicité de la compétence éducative. Il s’oppose ainsi à l’idée démocratique de l’éducation.
(« C’est une grande malchance (…) indifférent. » 25a-c)
d) Socrate démontre qu’il est absurde de vouloir, au sens d’agir en connaissance de cause, corrompre la jeunesse qui, devenue mauvaise, nuira à son corrupteur. Au pire, Mélétos aurait dû instruire Socrate.
(« Dis-nous encore (…) qu’il faut châtier, non ceux qu’il faut instruire ! » 25c-26a)
e) Conclusion sur la question.
(« Voilà en effet, Athéniens (…) questions. » 26a-b)
2) Sur l’athéisme de Socrate.
(« Cependant, toi, dis-nous (…) à moi. » 26b-28b)
a) Socrate établit le lien entre l’accusation de corruption de la jeunesse et celle d’impiété.
(« Cependant (…) [Mélétos] voilà exactement ce que je dis. » 26b)
b) Socrate fait préciser l’accusation : selon Mélétos, Socrate ne croit pas aux dieux en général.
(« Eh bien, Mélétos (…) [Mélétos] tu ne crois pas du tout aux dieux. » 26b-c)
c) Socrate montre que Mélétos le confond avec Anaxagore de Clazomènes (~500-428 av. J.-C.).
(« Étonnant Mélétos ! (…) [Mélétos] tu crois qu’il n’existe aucun dieu. » 26c-e)
d) Socrate présente la thèse de Mélétos relative à son athéisme comme une contradiction.
(« En ce cas tu (…) s’amuse. » 26e-27 a)
e) Socrate montre en interrogeant Mélétos que puisqu’il lui attribue une croyance aux démons qui viennent des Dieux, il ne peut pas ne pas croire aux Dieux.
(« Examinez avec moi (…) que tu y parviennes. » 27a-28a)
f) Conclusion : Socrate se déclare non coupable.
(« En fait, Athéniens, (…) à moi. » 28a-b)
C. La vie de Socrate.
(« Mais on dira peut-être (…) Mélétos ment, et que moi je dis vrai ? » 28b-34b)
1) À l’objection qu’il prévient selon laquelle Socrate devrait avoir honte d’avoir une activité qui le conduit à la mort, il répond que la seule question qui vaille est celle de la justice.
(« Mais on dira (…) penserais être sage sans l’être réellement ! » 28b-29a)
a) La question : vivre ou être juste ?
(« Mais on dira (…) bon ou mauvais ? » 28b)
b) Preuve poétique : Achille a préféré la gloire à la vie.
(« Car, à t’entendre (…) inquiété de la mort ou du danger. » 28b-d)
c) La justice consiste à garder son poste.
(« Oui, Athéniens, voici comment le problème (…) déshonneur. » 28d)
d) Socrate a gardé son poste pendant la guerre à Potidée (432-431 av. J.-C.), à Amphipolis (422 av. J.-C.) et à Délion (424 av. J.-C.), à plus forte raison garde-t-il le poste que le Dieu lui a confié en philosophant.
(« Quant à moi (…) penserais être sage sans l’être réellement ! » 28d-29a)
2) Craindre la mort, c’est une manifestation de l’ignorance qui consiste à croire savoir ce qu’on ne sait pas.
(« C’est qu’en effet craindre la mort (…) fuirai. » 29a-b)
a) Craindre la mort : un exemple d’ignorance car on ne sait pas si elle n’est pas le plus grand des biens.
(« C’est qu’en effet (…) qu’on ne sait pas ? » 29a-b)
b) Socrate craint l’injustice car c’est un mal mais non la mort qu’il ignore.
(« Pour moi, Messieurs, (…) fuirai. » 29b)
3) Le souci de soi.
(« Alors, supposons même (…) morts. » 29c-30c)
a) Socrate évoque l’hypothèse de l’acquittement en échange de l’arrêt de son activité de philosophe sous peine de mort.
(« Alors (…) je vous dirais (…) » 29c-d)
b) Le discours de Socrate à tout athénien exhortant au souci de soi.
(« « Pour moi (…) où je me suis engagé. » » 29d-30a)
c) Socrate incite chacun à privilégier la vertu, ce qui n’est pas corrompre la jeunesse.
(« Car je ne passe mes journées (…) morts. » 30a-c)
4) Socrate, le taon de la cité.
(« Pas de clameurs, Athéniens (…) ma pauvreté. » 30c-31c)
a) Socrate ne peut subir nul dommage de la part de ses accusateurs, c’est la Cité qui va pâtir de sa condamnation.
(« Pas de clameurs (…) entreprenant de tuer un homme injustement. » 30c-d)
b) Socrate, tel un taon, a été envoyé par le Dieu pour éveiller chaque citoyen.
(« En réalité donc, Athéniens, (…) d’autre, dans sa sollicitude envers vous. »
c) Sa pauvreté est la preuve qu’il est un présent du Dieu à la Cité.
(« Que je sois justement (…) qui prouve assez que je dis vrai : ma pauvreté. » 31a-c)
5) Pourquoi Socrate a toujours refusé de faire de la politique.
(« Peut-être alors trouvera-t-on étrange (…) mes disciples. » 31c-33a)
a) Une voix démonique qui l’empêche d’agir, l’a fait pour la politique.
(« La cause en est (…) que je fasse de la politique. » 31c-d)
b) La voix démonique avait raison car l’homme juste risque la mort s’il fait de la politique. Socrate va le prouver par des faits. S’il paraît se vanter, il dit des vérités.
(« Et je dois dire qu’à mon avis (…) des vérités. » 31d-32b)
c) En démocratie, Socrate, qui a été bouleute et prytane, a failli mourir pour s’être opposé à une décision illégale de l’assemblée dans le procès des dix stratèges vainqueurs d’une bataille navale [des Arginuses (406 av. J.-C.)]. Ils ont été jugés collectivement et non individuellement comme la loi le stipule et qui ont été condamnés à mort pour ne pas avoir recueilli les marins athéniens morts après la bataille.
(« En effet, Athéniens (…) en démocratie. » 32b-c)
d) Sous l’oligarchie [le gouvernement des trente tyrans qui dura huit mois en 404 av. J.-C.], Socrate, convoqué avec quatre autres citoyens pour ramener Léon le Salaminien pour le faire mettre à mort, rentre chez lui pendant que les autres obéissent. Il montre ainsi qu’il préfère la mort à l’injustice.
(« Mais quand vint l’oligarchie (…) De cela vous trouverez de nombreux témoins » 32c-d)
e) Conclusion : l’homme de bien ne peut être juste en faisant de la politique car sinon il meurt rapidement.
(« Croyez vous donc que j’aurais survécu (…) mes disciples. » 32e-33a)
6) Socrate n’est pas un maître.
(« Or, je n’ai jamais, moi, été le maître (…) que moi je dis vrai ? » 33a-34b)
a) Socrate laisse tout le monde l’écouter interroger, aussi n’est-il pas responsable de ce que font ceux qui le suivent à qui ils n’enseignent rien.
(« Or, je n’ai jamais (…) ne dit pas la vérité. » 33a-b)
b) Ceux qui l’écoutent prennent plaisir à l’entendre interroger les prétendus sages. C’est la mission que le Dieu par de nombreux signes lui a confiée.
(« Mais quel plaisir (…) mission. » 33b-c)
c) Que Socrate ne corrompe pas la jeunesse, il le prouve par le soutien des jeunes et surtout de leurs parents qui sont au procès : Criton et son fils Critobule, Lysanias et son fils Eschine, Antiphon et son fils Épigène, le jeune Nicostrate, Paralios, Adimante et son frère Platon (~428-347 av. J.-C.) – notre auteur, Éantodore et son frère Apollodore.
(« Voilà la vérité, Athéniens (…) que moi je dis vrai ? » 33c-34b)
7) Conclusion de l’apologie (= défense) de Socrate.
(« Voilà, Messieurs (…) et pour moi et pour vous. » 34b-35d)
a) Socrate annonce la colère de ceux qui, dans des procès moins importants, implorent les juges alors que lui ne le fait pas.
(« Mais il se peut (…) on vote sous l’empire de la colère. » 34c)
b) Socrate est un homme comme les autres qui a 3 fils mais il se refuse à un comportement honteux. Il dénonce aux Athéniens des comportements qui sont contraires à la bonne opinion.
(« Eh bien ! si quelqu’un parmi vous (…) qui garde un maintien calme. » 34c-35b)
c) Socrate soutient que c’est la justice et non l’émotion qui doit être le principe pour des juges. En cela, ils font preuve de piété.
(« Mais, indépendamment de l’opinion (…) ni les uns ni les autres. » 35b-c)
d) Socrate ne peut susciter la pitié car ce serait vouloir faire trahir leur serment aux juges, donc un acte d’impiété. Or, il croit aux Dieux autrement que ses accusateurs.
(« N’allez donc pas trouver bon, Athéniens (…) et pour moi et pour vous. » 35c-d)

II. La discussion de la peine.
(« Si je ne m’indigne pas, Athéniens (…) argent, vous pouvez avoir confiance en eux. » 36e-38b)
A. Socrate commente le verdict le déclarant coupable.
(« Si je ne m’indigne pas, Athéniens (…) emporté le cinquième des suffrages. » 35e-36b)
B. Socrate discute de la peine qu’il mérite.
(« Voilà donc que notre homme propose contre moi la mort. (…) argent, vous pouvez avoir confiance en eux. » 36b-38b)
1. Première proposition de Socrate : être nourri au Prytanée.
(« Et moi, quelle peine (…) ma peine à l’avenant ! » 36b-37b)
a) Socrate propose qu’il soit puni comme il le mérite. Or, il a toujours invité chacun au souci de soi et au souci de la cité avant toutes les préoccupations de possession, ce que sa vie pauvre montre. Il mérite donc d’être nourri au Prytanée.
(« Voilà donc (…) être nourri au Prytanée. » 36b-37a)
b) Socrate réfute l’idée d’arrogance en invoquant la loi athénienne qui est mal faite car le procès ne doit durer qu’un jour alors qu’il lui en aurait fallu plusieurs pour persuader.
(« Peut-être alors que dans ce langage (…) se libérer de grandes calomnies. » 37a-b)
c) Il ne peut s’infliger volontairement une peine qu’il ne mérite pas car il ne sait pas si la mort est une peine véritable.
(« Bien persuadé de n’être coupable d’injustice (…) que je me condamnerai ? » 37b)
2. Les autres peines.
(« Choisirai-je la prison (…) vous pouvez avoir confiance en eux. » 37c-38b)
a) La prison, l’amende donc la prison.
(« Choisirai-je (…) d’argent pour payer. » 37c)
b) L’exil.
(« Alors, est-ce que je proposerai la peine de l’exil ? (…) d’eux. » 37c-e)
c) L’exil sans philosopher. Socrate ne le peut pas car la vie digne d’être vécu est celle qui consiste à philosopher.
(« Peut-être alors quelqu’un dira-t-il (…) admettre. » 37e-38b)
d) L’amende, puisque ce n’est pas une peine. Socrate propose une mine [= 100 drachmes, 6 drachmes était le salaire quotidien d’un ouvrier, c’est l’équivalent d’environ 16 jours de salaires d’un ouvrier dont Socrate dispose]. Sous l’injonction de Platon, Criton, Critobule et Apollodore, Socrate propose 30 mines.
(« Oui, si j’avais de l’argent (…) vous pouvez avoir confiance en eux. » 38b)

III Après le procès.
(« C’est pour un gain de temps bien mince (…) excepté le dieu. » 38 c-42 a)
A. Adresse à ceux qui l’ont condamné.
(« C’est pour (…) sur ces prophéties, je vous laisse. » 38c-39d)
1) Socrate fait remarquer que cette condamnation est bien inutile vu son âge, précisant qu’il s’adresse à ceux qui ont voté sa mort.
(« C’est pour (…) mais pour ceux qui ont voté ma mort. » 38c-d)
2) Socrate expose à ses contempteurs leur conception selon laquelle il s’est perdu faute de savoir persuader par un beau langage et émouvoir les juges et leur oppose son attitude volontaire qui refuse l’immoralité.
(« Quelques mots encore à ces gens-là. (…) entendez d’habitude des autres accusés. » 38d-e)
3) Socrate a choisi le courage, la justice et la vérité plutôt que la vie là où ses accusateurs ont choisi la lâcheté, l’injustice et le mensonge qui est le choix le plus facile.
(« Mais autant tout à l’heure (…) et je crois que la mesure en est bonne. » 38e-39b)
4) Socrate prophétise : le nombre de ceux qui interrogent les Athéniens pour remettre en cause leur façon de vivre va aller en augmentant.
(« J’ai envie, après cela (…) je vous laisse. » 39c-d)
B. Adresse aux juges.
(« Quant à vous qui avez voté mon acquittement (…) méritent d’être blâmés. » 39d-41d)
1) Socrate invite ceux qui ont voté son acquittement à rester tant que les magistrats [les Onze chargés des questions judiciaires] ne l’amènent pas pour l’exécution afin de dégager le sens du procès.
(« Quant à vous (…) ce qui vient de m’arriver. » 39e-40a)
2) Le sens du procès est positif : la mort n’est pas un mal, il faut croire qu’elle est un bien.
(« Car il m’est arrivé, Juges (…) ils méritent d’être blâmés. » 40a-41d)
a) Le démon de Socrate n’a envoyé aucun signe : quel en est le sens ?
(« Car il m’est arrivé (…) Alors, comment dois-je interpréter son silence ? » 40a-b)
b) Le silence du démon de Socrate signifie que la mort n’est pas un mal.
(« Je vais vous le dire (…) faire n’avait pas été un bien. » 40b-c)
c) L’analyse des deux définitions possibles de la mort montre qu’elle n’est pas un mal pour Socrate.
(« Mais voici une autre manière (…) moins si ce qu’on raconte est vrai. » 40c-41c)
a) Analyse des deux sens de la mort, soit l’absence de toute perception, soit le départ de l’âme vers un autre lieu.
(« Mais voici (…) de l’âme de ce lieu-ci vers un autre lieu. » 40c)
b) Si la mort est une nuit, elle est un bien comparé à la vie.
(« Si la mort est l’absence de toute perception (…) rien de plus qu’une nuit unique. » 40c-e)
g) Si la mort est un voyage vers l’au-delà, le jugement dernier débarrassera Socrate de tous ceux qui, ici-bas, l’ont calomnié pour ne le laisser examiner que les poètes et les héros sur la sagesse. La mort donne alors l’immortalité.
(« Mais si d’un autre côté mourir consiste en une sorte de voyage de ce lieu-ci vers un autre lieu (…) si ce qu’on raconte est vrai. » 40e-41c)
d) Socrate exhorte ses juges à penser que le silence de son démon est bien le signe que les Dieux ne nuisent pas aux justes. La mort n’est pas un mal. Ce qui lui est arrivé est un bien même si ceux qui l’ont condamné sont coupables d’injustice.
(« Mais vous aussi vous devez, Juges (…) méritent d’être blâmés. » 41c-d)
C. Dernières recommandations.
(« J’ai pourtant une prière à leur faire (…) excepté le dieu. » 41e-42a)
1) Socrate recommande à ceux qui l’ont jugé de punir ses fils s’ils font passer l’argent ou d’autres prétendus biens avant la vertu et s’ils croient être ce qu’ils ne sont pas.
(« J’ai pourtant (...) moi-même et mes fils. » 41e)
2) Le mot de la fin : qui de Socrate qui va mourir ou des autres qui vont vivre prend la bonne direction, le Dieu seul le sait.
(« Mais voici déjà (…) excepté le dieu. » 42a