samedi 28 février 2015

La culture - Une dissertation (terminales technologiques) A quoi sert la culture?

L’homme n’est pas un animal ordinaire. La preuve en est qu’il a des modes de vie très divers. On parle alors de différentes cultures. Tout se passe comme si chaque culture permettait aux hommes de vivre.
Toutefois, si l’on fait abstraction de la culture particulière de chaque société, on peut considérer que par la culture l’homme fait peut-être plus que vivre, il vise à vivre humainement.
On peut donc se poser le problème suivant : À quoi sert la culture ? Est-elle simplement ce qui sert à l’homme à vivre ou bien sert-elle à l’homme à être humain et si oui, en quel sens ?

La culture est le terme abstrait qui désigne les différentes modalités non naturelles qui permettent aux hommes de vivre. En effet, que ce soit pour satisfaire les besoins qu’il a en commun avec les autres êtres vivants comme se nourrir, se protéger des intempéries ou pour satisfaire d’autres besoins, créés, l’homme procède de différentes manières. Il doit d’abord fabriquer ses outils et la technique varie avec la culture. Il consomme ou échange ce qu’il a fabriqué selon certaines règles. Dès la préhistoire, on trouve des œuvres d’art qui ne servent à rien comme la peinture dans des grottes où les hommes ne vivaient pas. Bref, il y a différentes façons humaines de vivre. On peut donc dire avec Montaigne dans ses Essais, I, 31, « Des cannibales » (1580, 1582, 1587, 1588) que toutes se valent, qu’aucune n’est sauvage ou barbare à proprement parler si ce n’est aux yeux des autres.
Or, sans culture, l’homme ne peut pas vivre car il n’a pas d’instincts à proprement parler, c’est-à-dire de conduites spécifiques, automatiques et innées. Il n’a pas non plus d’organes naturels pour vivre (ni fourrures, ni crocs, etc.). Aussi la culture est-elle indispensable à sa vie. Elle donne à l’homme et les connaissances, et les objets et les règles qui lui permettent de vivre à la fois face à la nature et face comme avec les autres.
Toutefois, les cultures ne restent pas figées de sorte qu’on ne peut pas considérer simplement qu’elles permettent de vivre. N’ont-elles pas une tout autre fonction ?

C’est qu’en effet, plus une culture est développée et plus il y a de différences voire d’inégalités entre les hommes qui la partagent. On peut donc appeler sauvages les cultures où la technique est telle que chaque homme est relativement indépendant de tous les autres comme Rousseau dans, le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) l’a fait. La culture y est un moyen pour chacun d’être libre et heureux. Par contre, dans les civilisations, la technique rend chacun dépendant des autres. Dès lors, certains réduisent les autres en esclavage. Les inégalités s’accroissent et pendant que certains jouissent des douceurs de la culture, c’est une sorte d’enfer pour les autres. Bref, la culture apparaît comme un instrument d’oppression.
En effet, comme Rousseau l’a montré, elle accroit les différences entre les hommes. Et c’est à l’intérieur d’une même culture qu’on distingue les hommes cultivés des autres. Or, si certains sont cultivés, c’est-à-dire ont acquis les connaissances qui leur permettent de vivre avec aisance dans une société et que d’autres ne le sont pas, c’est parce que la culture sépare les hommes les uns des autres.
Cependant, sans culture ou avec une culture frustre, les hommes ne développent pas toutes leurs capacité. Dès lors, on peut penser que la culture permet de faire des hommes. Reste à savoir comment ?

En effet, on peut et on doit distinguer la culture entendue simplement comme ce que les hommes font et se transmettent du point de vue technique, artistique, juridique, de la culture entendue comme éducation. Par là il faut comprendre l’acquisition des règles qui permettent à chacun de s’humaniser, ce qui passe par le respect des autres hommes. L’éducation est essentielle pour faire l’homme comme Kant l’a soutenu dans son Traité de pédagogie (1803). Il a besoin d’être élevé lorsqu’il est enfant, il a besoin de discipline pour maîtriser ses émotions et ses passions, il a besoin d’instruction pour savoir.
Dès lors, si la culture crée des inégalités et du malheur entre les hommes, elle donne aussi les instruments de la réflexion qui permet de les analyser et donc de les modifier. Bref, elle fournit une sorte d’expérience à l’homme qui peut ainsi modifier ce qu’il y a de négatif dans la culture en vue de mieux s’humaniser. Dès lors, c’est la culture acquise qui permet de penser une transformation d’elle-même en vue d’en dégager les principes universels de toute culture, c’est-à-dire le respect de la dignité humaine. C’est pour cela qu’il est légitime de condamner au nom de la culture entendue comme processus d’humanisation les cultures qui bafouent la dignité humaine.
Or, comme la culture ne peut venir que de l’homme et que l’homme a besoin de culture pour être homme, il n’est pas possible de définir la culture qui humanise absolument. L’homme doit bien plutôt apprendre, et ceci de façon indéfinie comme devenir homme. C’est pour cela que la diversité des cultures sont autant d’essais pour faire advenir l’homme et qu’elles méritent d’être considérées comme des expériences, certaines réussies, d’autres moins sur tel ou tel plan pour permettre à l’homme de vivre le plus humainement possible.


Nous nous interrogions pour savoir si la culture permet simplement à l’homme de vivre ou bien si elle permet bien plutôt à l’homme d’être humain. Nous avons donc vu en quoi la culture est bien en première analyse l’outil qui permet à l’homme de vivre lui à qui manque de véritables instincts. Toutefois, il est apparu que certaines cultures permettaient à certains hommes d’abuser des autres, bref, qu’elles étaient des instruments d’oppression. Dès lors, la culture entendue comme éducation individuelle et collective a bien plutôt pour sens de permettre à l’humanité d’accéder à elle-même à travers les différentes cultures qui en sont comme des essais pour parvenir à cette fin.

vendredi 27 février 2015

La culture - une explication d'un texte (terminales technologiques) extrait des "Deux sources de la morale et de la religion"

Sujet

En vain on essaie de se représenter un individu dégagé de toute vie sociale. Même matériellement, Robinson (1) dans son île reste en contact avec les autres hommes, car les objets fabriqués qu’il a sauvés du naufrage, et sans lesquels il ne se tirerait pas d’affaire, le maintiennent dans la civilisation et par conséquent dans la société. Mais un contact moral lui est plus nécessaire encore, car il se découragerait vite s’il ne pouvait opposer à des difficultés sans cesse renaissantes qu’une force individuelle dont il sent les limites. Dans la société à laquelle il demeure idéalement attaché il puise de l’énergie ; il a beau ne pas la voir, elle est là qui le regarde : si le moi individuel conserve vivant et présent le moi social, il fera, isolé, ce qu’il ferait avec l’encouragement et même l’appui de la société entière. Ceux que les circonstances condamnent pour un temps à la solitude, et qui ne trouvent pas en eux-mêmes les ressources de la vie intérieure profonde, savent ce qu’il en coûte de se « laisser aller », c’est-à-dire de ne pas fixer le moi individuel au niveau prescrit par le moi social.
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1932)

(1) Robinson Crusoé : personnage de marin échoué sur une île déserte inventé par le romancier anglais Daniel Defoe (1660-1731) dans son roman La vie et les aventures de Robinson Crusoé (1719).

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.

Questions :
1) Dégagez l’idée principale et les étapes de l’argumentation.
2) Expliquez : « un contact moral ».
3) L’individu n’est-il rien hors de toute civilisation ?

Corrigé

Nous nous pensons comme des individus et pensons que notre société, sa culture matérielle et morale, est hors de nous, voire s’oppose à nous. Et pourtant, que serions-nous sans aucune culture, hors de toute société ? Ne nous permet-elle pas d’être nous-mêmes ?
Tel est le problème dont traite Bergson dans cet extrait de son ouvrage, Les deux sources de la morale et de la religion, paru en 1932.

1. Bergson veut montrer qu’il est impossible de concevoir un individu qui serait hors de toute civilisation.
Pour cela il s’appuie sur le cas du personnage du roman de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, dont tout le monde sait qu’il était seul sur une île déserte. Autrement dit, le cas est le plus défavorable en apparence à l’auteur. Or, Bergson commence par faire remarquer que cette solitude par rapport à la société est toute relative puisque le naufragé dispose des objets techniques qu’il a pu prendre après le naufrage. Dès lors, matériellement, il n’est pas seul, malgré l’apparence. Les objets techniques appartiennent à la société d’où il vient. Ils sont des éléments de sa civilisation, de sa culture. Par eux, Robinson reste en contact avec elle.
Toutefois, ce contact matériel ne paraît pas suffisant à l’auteur. C’est pourquoi Bergson indique que le contact moral l’est plus. Pourquoi ? C’est qu’outre les objets techniques, il y a les façons de vivre, c’est-à-dire les mœurs, qui comprennent d’ailleurs l’usage des objets techniques. Ce sont elles qui lui permettent de faire face aux difficultés qu’ils rencontrent. Ce sont elles qui lui donnent surtout l’énergie nécessaire pour continuer à lutter. Autrement dit, les mœurs sont présentes en Robinson. En effet, Bergson remarque qu’il reste attaché à la société. Comment ? Parce qu’il a en lui un moi social, c’est-à-dire une identité qui lui vient de la société dans laquelle il a été éduqué. Ce moi social est le regard de la société sur lui-même lorsqu’il semble isolé sur son île déserte. Aussi Bergson en déduit que l’individu isolé agira comme s’il recevait les encouragements et l’appui de la société tout entière. C’est donc dire que la société n’est pas extérieure à l’individu.
Enfin, Bergson prend le cas justement d’hommes qui sont conduits par les circonstances à la solitude. Il quitte donc le cas de personnage fictif. Il leur faut trouver en eux les ressources de l’action. Si tel n’est pas le cas, ils sont conduis à se « laisser aller ». Bergson définit le « laisser aller » comme le fait de ne pas amener le moi de l’individu au niveau du moi social, c’est-à-dire au niveau des exigences intériorisées de la vie sociale. Dès lors, il ne peut véritablement vivre.

2. L’idée d’« un contact moral » que propose Bergson est pour le moins étrange, voire paradoxale. Ce « contact moral », il le pense entre l’individu et sa société d’origine. Or, pour qu’il y ait contact, il faut que deux corps soient dans le même espace et n’aient entre eux aucune distance au moins sur un point. Or, le naufragé sur une île déserte est, par définition, séparé de tout contact. C’est la raison pour laquelle l’idée de contact moral implique que la société ou civilisation soit présente dans le naufragé. C’est le sens de la notion de moi moral. Par là Bergson doit entendre toutes les habitudes, devoirs et façon d’être acquis par Robinson lorsqu’il vivait au milieu de ses compatriotes. Conservant ses mœurs sur l’île, c’est comme s’il était toujours proche de ses compatriotes. Le contact moral se situe donc dans l’individu entre son moi propre ou « moi individuel » et son « moi social ».

3. Bergson refuse l’idée qu’on puisse concevoir l’individu hors de toute civilisation. Il faut entendre par là à la fois une façon de vivre en usant de certains objets techniques et également en suivant certaines obligations ou coutumes. C’est qu’en effet ; même seul, l’individu conserve ce qu’il a acquis. Sans cela, il ne serait rien.
Pourtant lui-même admet que l’individu peut se laisser aller comme s’il avait au moins une sorte de pouvoir négatif.
Ne peut-on pas aller plus loin et penser que l’individu peut aller à l’encontre de sa civilisation ? N’est-ce pas ainsi que des inventions sont possibles ? Dès lors, est-il vrai qu’il n’est rien hors de toute civilisation ?

Il est vrai que concevoir l’homme hors de toute civilisation implique de lui ôter tout ce qu’il a acquis grâce à son éducation. Si on considère qu’un homme n’est ni Indien, ni Tartare, ni de Genève ou de Paris, à l’instar de Rousseau dans sa lettre à Philopolis, il faut alors concevoir l’homme en général. Or, on trouvera que cet homme à l’état de nature ne sait rien faire de proprement humain. Il en a l’aspect physique. Tout au plus, on peut lui accorder à titre de virtualités la pensée, la capacité de parler voire de fabriquer des objets utiles ou encore d’obéir à des règles.
     Néanmoins, l’homme hors de toute civilisation n’est pas absolument rien. Si on peut le concevoir élever par des singes ou des loups, comme dans les histoires d’enfants sauvages, l’inverse n’est pas possible. Autrement dit, l’homme n’est pas un être naturel. N’est-ce pas ce qui fait qu’il est capable de résister à la société et donc à sa civilisation ?

Remarquons en effet avec Bergson que l’homme peut se laisser aller s’il est seul. Mais même en société, il est possible d’être seul ou de se rendre solitaire. L’homme a donc un pouvoir négatif de résister à la vie sociale. Par conséquent, il n’est pas rien hors de toute civilisation. Chez les animaux sociaux, l’individu ne se laisse jamais aller. Il suit son instinct. Une abeille ou une fourmi ne se laisse pas aller. L’homme quant à lui a besoin d’être éduqué. Il fait un libre usage de ce qu’il a acquis. En conséquence, c’est son penchant à la liberté qui le caractérise comme Kant l’a soutenu dans son Traité de pédagogie.
Toutefois, ce pouvoir apparaît bien négatif et ne montre rien que l’individu puisse apporter à la civilisation. Si donc l’homme doit être éduqué par l’homme, c’est qu’il est capable d’inventer. N’est-ce pas ce qui est propre à l’individu ?

En effet, quoique aucun homme ne puisse seul s’éduquer, et en ce sens Bergson a raison de penser qu’il n’y a pas de solitude absolue, l’homme n’est pas seulement le produit de sa culture. Si c’était le cas, il n’y aurait jamais de changement. Il faudrait même considérer que la civilisation humaine ressemblât à une sorte de fourmilière. Or, il n’en est rien.
Sans vouloir développer outre mesure ce point, remarquons que les outils que Robinson prend sur le bateau ont été inventés par des hommes qui ont trouvé en eux et non dans leur civilisation les ressources nécessaires. De même, en matière de règles sociales, il est possible de les modifier. Ce sont même des hommes qui ont inventé la politique, c’est-à-dire un espace de discussion pour choisir selon quelles lois la cité doit s’organiser.

En un mot, on doit convenir avec Bergson que hors de sa civilisation, l’homme n’est que virtualités. En ce sens seulement, il n’est rien. Pourtant, il dispose non seulement d’un pouvoir négatif, mais également d’un pouvoir de création à partir duquel la civilisation peut être changée. Dès lors, l’individu peut être quelque chose hors de ce que lui apporte la civilisation, à savoir ce qu’il lui apporte.

jeudi 26 février 2015

L'histoire - analyse et résumé d'un propos d'Alain "La route en lacets qui monte"

Sujet.

Résumez le texte suivant en 100 mots (+ ou – 10%). Vous indiquerez les sous-totaux de 20 en 20 (20, 40, 60 …) dans la marge et le nombre total de mot à la fin de votre résumé.

La route en lacets qui monte. Belle image du progrès qui est de Renan[1], et que Romain Rolland[2] a recueillie. Mais pourtant elle ne me semble pas bonne ; elle date d’un temps où l’intelligence, en beaucoup, avait pris le parti d’attendre, par trop contempler. Ce que je vois de faux, en cette image, c’est cette route tracée d’avance et qui monte toujours ; cela veut dire que l’empire des sots et des violents nous pousse encore vers une plus grande perfection, quelles que soient les apparences ; et qu’en bref l’humanité marche à son destin par tous moyens, et souvent fouettée et humiliée, mais avançant toujours. Le bon et le méchant, le sage et le fou poussent dans le même sens, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non. Je reconnais ici le grand jeu des dieux supérieurs, qui font que tout serve leurs desseins. Mais grand merci. Je n’aimerais point cette mécanique, si j’y croyais. Tolstoï[3] aime aussi à se connaître lui-même comme un faible atome en de grands tourbillons. Et Pangloss[4], avant ceux-là, louait la Providence, de ce qu’elle fait sortir un petit bien de tant de maux. Pour moi, je ne puis croire à un progrès fatal ; je ne m’y fierais point. Je vois l’homme nu et seul sur sa planète voyageuse, et faisant son destin à chaque moment ; mauvais destin s’il s’abandonne bon destin aussitôt, dès que l’homme se reprend.
Suivant Comte[5] en cela, je chercherais une meilleure image de nos luttes, de nos fautes et de nos victoires. Si vous avez quelquefois observé une barque de pêche, quand elle navigue contre le vent, ses détours, ses ruses, son chemin brisé, vous savez bien ce que c’est que vouloir. Car cet océan ne nous veut rien, ni mal ni bien ; il n’est ni ennemi ni secourable. Tous les hommes morts, et toute vie éteinte, il s’agiterait encore ; et ce vent, de même, soufflerait selon le soleil ; forces impitoyables et irréprochables ; la vague suit le vent et la lune, selon le poids et la mobilité de l’eau ; ce vent mesure le froid et le chaud. Danse et course selon des lois invariables. Et pareillement la planche s’élève et s’abaisse selon la densité, d’après cette invariable loi que chaque goutte d’eau est portée par les autres. Et si je tends une voile au vent, le vent la repousse selon l’angle ; et si je tiens une planche en travers du flot, le flot la pousse aussi, comme le flot s’ouvre au tranchant de la quille et résiste sur son travers. D’après quoi, tout cela observé, l’homme se risque, oriente sa voile par le mât, les vergues et les cordages, appuie son gouvernail au flot courant, gagne un peu de chemin par sa marche oblique, vire et recommence. Avançant contre le vent par la force même du vent.
Quand j’étais petit, et avant que j’eusse vu la mer, je croyais que les barques allaient toujours où le vent les poussait. Aussi, lorsque je vis comment l’homme de barre en usait avec les lois invariables et bridait le vent, je ne pris point coutume pour raison ; il fallut comprendre. Le vrai dieu m’apparut, et je le nommai volonté. En même temps se montra la puissance et le véritable usage de l’intelligence subordonnée. La rame, le moulin, la pioche, le levier, l’arc, la fronde, tous les outils et toutes les machines me ramenaient là ; je voyais les idées à l’œuvre, et la nature aveugle gouvernée par le dompteur de chevaux. C’est pourquoi je n’attends rien de ces grandes forces, aussi bien humaines, sur lesquelles danse notre barque. Il s’agit premièrement de vouloir contre les forces ; et deuxièmement il faut observer comment elles poussent, et selon quelles invariables lois. Plus je les sens aveugles et sans dessein aucun, mieux je m’y appuie ; fortes, infatigables, bien plus puissantes que moi, elles ne me porteront que mieux là où je veux aller. Si je vire mal, c’est ma faute. La moindre erreur se paye ; et par oubli seulement de vouloir, me voilà épave pour un moment ; mais le moindre savoir joint à l’invincible obstination me donne aussitôt puissance. Ce monstre tueur d’hommes, je ne l’appelle ni dieu ni diable ; je veux seulement lui passer la bride.
Alain, Vigiles de l’esprit (1942), I La ruse de l’homme, 25 mai 1921.

Corrigé.

1) Analyse et remarques sur le texte.
On peut d’abord remarquer que le texte est structuré autour de l’opposition de deux thèses relatives au progrès ou à l’histoire de l’homme. Selon la première qui n’est pas celle d’Alain, qu’il expose et qu’il combat, le progrès est inéluctable. Quoi que l’homme fasse, en bien ou en mal, il progresse. Alain montre que cette thèse repose sur une conception théologique où les dieux se servent de ce qui semble le plus contraire à leur dessein pour y conduire.
Il lui oppose sa propre thèse selon laquelle les forces extérieures sont neutres du point de vue moral. Aussi l’homme progresse-t-il ou non à partir de ses propres forces. Elles sont de deux ordres. D’une part sa volonté qui est absolument libre et qui est donc le principe de la valeur des choix et d’autre part son intelligence qui lui permet de connaître les lois de la nature afin de les utiliser. En aucun cas, l’homme ne les modifie. Dès lors, l’idée même d’un progrès global n’a pas vraiment de sens, sauf à faire précisément abstraction de la valeur de l’action individuelle.
On peut remarquer ensuite qu’Alain oppose deux images : l’image du progrès de Renan, l’image de la route en lacets qui monte, les lacets étant à la fois les obstacles et l’impossibilité pour celui qui est sur la route de savoir exactement où il va. Il sait seulement qu’il monte. Bref, il va vers le mieux. L’autre image est celle d’Alain. C’est celle du marin sur son bateau. La première image implique que le progrès soit déterminé à l’avance, la seconde qu’il dépend de la capacité de l’homme d’utiliser pour lui les forces de la nature. La première implique que l’histoire est écrite et qu’il ne s’agit plus que de la jouer. La seconde implique que l’homme, au sens de l’individu, écrit et joue en même temps son histoire. Le sens qu’elle a dépend de lui.

2) Proposition de résumé.
L’image d’une route serpentant et montant de certains écrivains est fausse. Elle provient d’une intelligence statique. Elle [20] illustre l’idée d’un progrès dirigé par des dieux qui tournent vers le meilleur les actions insensées des hommes. [40]
Une meilleure image est celle du navire affrontant la mer. Ses mouvements sont amoraux. L’homme les utilise pour naviguer [60] en connaissant les éléments.
Enfant, je croyais que le vent dirigeait les navires. Lorsque je vis le barreur, je compris [80] que notre volonté est divine. Les outils, les forces naturelles ou humaines et surtout la volonté réalisent seuls nos projets.
100 mots





Notes de Bégnana : ne pas en tenir compte dans le résumé.
[1] 1823-1892, écrivain, historien et philologue français.
[2] 1866-1944, écrivain français.
[3] 1828-1910, écrivain russe.
[4] C’est le précepteur du conte philosophique de Voltaire (1694-1778), Candide (1759).
[5] 1798-1857, philosophe français.

mercredi 25 février 2015

Analyse d'un texte de Machiavel, "Le Prince", chapitre 18

Sujet.
Analyser le texte suivant :
Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être fidèle à sa parole et d’agir toujours franchement et sans artifice. De notre temps, néanmoins, nous avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui faisaient peu de cas de cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enfin sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite.
On peut combattre de deux manières : ou avec les lois, ou avec la force. La première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme souvent celle-là ne suffit point, on est obligé de recourir à l’autre : il faut donc qu’un prince sache agir à propos, et en bête et en homme. C’est ce que les anciens écrivains ont enseigné allégoriquement, en racontant qu’Achille et plusieurs autres héros de l’antiquité avaient été confiés au centaure Chiron, pour qu’il les nourrît et les élevât.
Par là, en effet, et par cet instituteur moitié homme et moitié bête, ils ont voulu signifier qu’un prince doit avoir en quelque sorte ces deux natures, et que l’une a besoin d’être soutenue par l’autre. Le prince devant donc agir en bête, tâchera d’être tout à la fois renard et lion : car, s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges ; s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. Ceux qui s’en tiennent tout simplement à être lions sont très malhabiles.
Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ?
À ce propos on peut citer une infinité d’exemples modernes, et alléguer un très grand nombre de traités de paix, d’accords de toute espèce, devenus vains et inutiles par l’infidélité des princes qui les avaient conclus. On peut faire voir que ceux qui ont su le mieux agir en renard sont ceux qui ont le plus prospéré.
Mais pour cela, ce qui est absolument nécessaire, c’est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et de posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler. Les hommes sont si aveugles, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper.
Parmi les exemples récents, il en est un que je ne veux point passer sous silence.
Alexandre VI ne fit jamais que tromper ; il ne pensait pas à autre chose, et il en eut toujours l’occasion et le moyen. Il n’y eut jamais d’homme qui affirmât une chose avec plus d’assurance, qui appuyât sa parole sur plus de serments, et qui les tint avec moins de scrupule : ses tromperies cependant lui réussirent toujours, parce qu’il en connaissait parfaitement l’art.
Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités énoncées ci-dessus, il n’est pas bien nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité : mais il faut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer les qualités opposées.
On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal.
Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion, qui est encore ce dont il importe le plus d’avoir l’apparence : car les hommes, en général, jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain.
Au surplus, dans les actions des hommes, et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère, c’est le résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État : s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement : et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? Le petit nombre n’est écouté que lorsque le plus grand ne sait quel parti prendre ni sur quoi asseoir son jugement.
De notre temps, nous avons vu un prince qu’il ne convient pas de nommer, qui jamais ne prêcha que paix et bonne foi, mais qui, s’il avait toujours respecté l’une et l’autre, n’aurait pas sans doute conservé ses États et sa réputation.
Machiavel, Le Prince, chapitre 18 Comment les princes doivent tenir leur parole.

Corrigé.
Machiavel montre que le gouvernant pour conserver le pouvoir ne doit pas toujours être franc. Il explique qu’il doit combattre humainement par les lois et comme un animal avec la force du lion et la ruse du renard. Il en déduit que le gouvernant ne tiendra pas parole si cela nuit à son pouvoir à cause de la méchanceté humaine. Machiavel le prouve par l’histoire récente. Il énonce comme condition que le gouvernant dissimule sa tromperie.
Il en infère que le gouvernant, surtout nouveau, doit paraître posséder les vertus morales. Il explique sa réussite par la grossièreté de la majorité se fiant à l’apparence et dominant l’élite, réussite qui éblouit le peuple ignorant.



Rousseau - petite biographie

Jean-Jacques Rousseau est né le 28 juin 1712 dans la Genève calviniste. Il est francophone, mais il ne sera jamais français à ses yeux. Sa mère meurt rapidement. Son père, Isaac Rousseau, horloger, l’élève seul et lui apprend à lire. En 1722, suite à une querelle avec un capitaine, Isaac Rousseau est contraint à l’exil. Il confie Jean-Jacques à son oncle maternel, Gabriel Bernard, pasteur calviniste. Après des études ratées chez un greffier, il est mis en apprentissage chez un graveur, M. Ducommun, un maître violent.
Le 14 mars 1728, avant ses seize ans Rousseau fugue. Il est bientôt confié à Louise-Éléonore de Warens (1699-1762), à Annecy où il arrive le 21 mars. À l’Hospice du San Spirito des catéchumènes de Turin, il se convertit au catholicisme. Il perd son droit de citoyenneté à Genève. En juin 1729, il revient chez Mme de Warens. En août, il entre au séminaire où il ne reste que quelques mois. Rousseau apprend la musique auprès de M. Le Maître. Durant l’hiver 1730/1731, il l’enseigne à Neuchâtel. Il retrouve Mme de Warens à Chambéry fin septembre 1731. Il devient son amant et la partage avec le jardinier qui meurt bientôt. Rousseau en autodidacte se lance dans un programme d’études encyclopédiques : philosophie, mathématiques, latin, histoire, géographie, astronomie, physique.
En 1740, Jean-Jacques quitte les Charmettes et devient précepteur des enfants de Jean Bonnot de Mably (1696-1761) à Lyon, les neveux du philosophe Condillac (1715-1780). Ce fut un échec.
En 1741, Rousseau abandonne le préceptorat. Il monte à Paris où il arrive en septembre avec le système de notation musicale qu’il a élaboré. En août 1742, il le présente à l’Académie des sciences qui le rejette. Il devient l’ami de Diderot (1713-1784). En octobre 1744, il achève un opéra Les Muses galantes. Le duc de Richelieu lui promet de le faire jouer. Il confie une autre tâche à Rousseau : raccourcir et modifier La Princesse de Navarre, œuvre dont le livret était de Voltaire (1694-1778) et la musique de Rameau (1683-1764). Ce dernier retouche le livret et l’œuvre est jouée sous un autre titre : Les Fêtes de Ramire. Le livret ne mentionne pas le nom de Rousseau.
En 1745, il rencontre Thérèse Levasseur, modeste servante, avec qui il vit en ménage et avec laquelle il aura cinq enfants, tous confiés aux Enfants-trouvés. En 1746, Rousseau accepte un poste de secrétaire pour Madame Dupin en son château de Chenonceau près du Cher. Diderot lui demande d’écrire des articles sur la musique pour l’Encyclopédie. En 1749, il se livre à des recherches documentaires pour le compte des Dupin afin de faire la critique de Montesquieu qui a publié l’année précédente sa grande œuvre, De l’esprit des lois. Il collabore à l’Encyclopédie pour la musique. Alors qu’il va voir Diderot, enfermé pour sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, il découvre dans le Mercure de France que l’académie de Dijon a mis au concours la question suivante : « si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs ». Selon le témoignage des Confessions, il fut saisi d’une sorte d’illumination. Jean-Jacques acquiert la gloire en août 1750 avec son Discours sur les sciences et les arts couronné par l’académie de Dijon et publié juste après. En 1751, il décide de mettre ses idées philosophiques en pratique. Il décide de vivre désormais de sa main. Pour cela, il copie de la musique. Il achève la composition d’un nouvel opéra, Le devin du village, qui obtient un grand succès devant le roi Louis XV (1710-1715-1774). Conformément à son nouveau mode de vie, il ne sollicite pas de pension.
En 1753, il commence la rédaction du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes en réponse à une nouvelle question de l’académie de Dijon posé en novembre : « Quelle est la source de l’inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? ». Selon le livre VIII des Confessions il séjourne une semaine dans la forêt de Saint-Germain pour y méditer sur l’homme de la nature. En 1754 Jean-Jacques Rousseau retourne dans sa patrie d’origine. Le consistoire de Genève le rétablit dans ses droits civiques et il retrouve la religion calviniste. Il rédige la Dédicace de son second Discours, hommage à sa patrie retrouvée. De retour à Paris, il est chargé des papiers laissés par l’abbé de Saint-Pierre (1658-1743) dont la Polysynodie date de 1718. En 1755, il publie le Discours sur l’inégalité pour lequel il n’a pas obtenu le premier prix. La même année, il publie l’article « Économie politique » de l’Encyclopédie qui paraît en novembre dans le tome V.
Le 3 avril 1756, retiré à la campagne dans l’Ermitage de Mme d’Epinay, Rousseau s’y éprend follement de Sophie d’Houdetot (1730-1813) d’un amour platonique. Il se fait son directeur de conscience et rédige pour elle des lettres connues sous le titre de Lettres morales. Il rompt avec Diderot, Grimm et les encyclopédistes en général. Il rédige les Principes du droit de la guerre. Le 18 août 1756, il envoie à Voltaire sa Lettre sur la Providence qui répond au Poème sur le désastre de Lisbonne qui, sur la base de la catastrophe naturelle qui a frappé les Lisboètes, remet en cause la notion de providence. Rousseau y accuse plutôt les hommes des malheurs qui les frappent. En 1757, il est recueilli à Montmorency par le maréchal de Luxembourg. Il rédige la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, qui paraît en mars. Le texte répond à l’article « Genève » rédigé par D’Alembert qui paraissait à l’automne 1757 dans de l’Encyclopédie (tome VII). En 1760, paraît La Nouvelle Héloïse. Le succès fut européen. En 1761, il donne l’Extrait du projet de paix perpétuelle de l’Abbé de Saint-Pierre.
En avril 1762, il publie Du contrat social et le 24 mai l’Émile ou De l’éducation. Les deux ouvrages sont condamnés à Paris et à Genève. C’est le point de départ pour Rousseau d’une longue vie d’exil qui commence par le pays bernois, puis Môtiers dans la principauté de Neufchâtel sous souveraineté prussienne. En 1763, il écrit une Lettre à Christophe de Beaumont, l’archevêque de Paris qui était à l’origine de la condamnation de l’Émile. Des « représentations » en soutien à Rousseau ont lieu à Genève. À l’opposé, le procureur général de Genève, J.-R. Tronchin, l’attaque dans les Lettres écrites de la campagne. En juin 1764, Butafuco, un patriote corse, lui demande de rédiger un projet de constitution pour son pays qui s’est libéré de la domination de Gènes. Un texte anonyme en réalité rédigée par Voltaire, Le Sentiment des citoyens, révèle qu’il a abandonné ses cinq enfants. Il décide de rédiger les Confessions pour justifier sa vie. En décembre, Rousseau réplique à Tronchin avec les Lettres écrites de la montagne où il défend sa philosophie religieuse et politique. En 1765, il rédige le Projet de Constitution pour la Corse. Il doit fuir Môtiers, les habitants jetant des pierres sur sa maison. Il se réfugie sur l’île de Saint Pierre d’où il est bientôt expulsé. Au début de 1766, le philosophe David Hume (1711-1776) quitte Paris et emmène avec lui Rousseau. Ce dernier séjourne à Londres puis à Wooton. Peu après, Rousseau se brouille avec Hume. Rousseau revient en France toujours sous la menace d’une arrestation. Il est successivement hébergé chez le marquis de Mirabeau puis chez le prince de Conti. Il se fait appeler Jean-Jacques Renou. Il rédige Les Confessions. En 1768 il s’installe à Bourgoin où il épouse Thérèse. La France acquiert la Corse.
En 1770 il revient à Paris et reprend son vrai nom. Il se remet à copier de la musique. Il organise des lectures publiques des Confessions qui sont bientôt interdites par la police sur l’intervention de Madame d’Epinay que les révélations de Rousseau effrayaient. Pygmalion voit le jour. En 1771, il rédige les Considérations sur le gouvernement de Pologne. En 1772, il rédige sous forme de dialogues Rousseau juge de Jean-Jacques. En 1775 sa pièce, Pygmalion, est reprise avec un grand succès. Le compositeur Gluck (1714-1787) se lie d’amitié avec lui.
En 1776, il veut déposer le manuscrit des Dialogues sur le grand-autel de Notre-Dame mais il trouve les grilles fermées. Il en fait don à Condillac. Il commence la rédaction des Rêveries du promeneur solitaire dont la rédaction s’étendra jusqu’à sa mort. En mai 1778, il accepte l’hospitalité du marquis de Girardin à Ermenonville dans la maladie et l’isolement. Il y retrouve un jardin fait sur le modèle du jardin de Clarens décrit dans La nouvelle Héloïse.
Rousseau meurt à Ermenonville le 2 Juillet 1778.
En 1782, sont publiés le Projet de Constitution de la Corse, Les Rêveries du promeneur solitaire, Considérations sur le gouvernement de Pologne. Chateaubriand (1768-1848), royaliste, ira se recueillir sur la tombe du républicain Rousseau à Ermenonville avant d’aller rejoindre l’armée des Princes. Le 27 août 1791, une pétition à l’Assemblée nationale demande le transfert des restes de Rousseau au Panthéon. Le publiciste Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) écrit De Jean-Jacques Rousseau considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution. Les restes de Rousseau sont transférés en grandes pompes au Panthéon en 1794. Il devient un des héros de la République française.


dimanche 22 février 2015

La vérité - corrigé d'une dissertation : Peut-on se passionner pour la vérité ?

La recherche de la vérité peut prendre une vie et en être l’unique objectif, qu’elle soit celle du philosophe ou du savant. Aussi peut-on penser qu’il s’agit là d’une passion au sens de l’activité principale de quelqu’un. Mieux, dans la mesure où la vérité exige qu’on la cherche, ne peut-on pas dire que le savant ou le philosophe se passionne pour la vérité ?
Or, la passion passe pour aveugler la raison, alors que la vérité exige sa lucidité. Dès lors, se passionner pour la vérité semble être une contradiction dans les termes. En outre, si la passion est subie, il apparaît impossible de se passionner, encore moins pour la vérité.
Cependant, toute activité suppose que l’on vise un but, et la passion assigne un but à l’homme. Dès lors, pourquoi la vérité ne serait-elle pas l’objet d’une passion. De plus, si la passion apparaît subie, n’est-ce pas parce qu’elle provient d’un désir exclusif que l’on se donne ? En ce sens, il serait possible de se passionner, et éventuellement pour la vérité.
Aussi peut-on se demander s’il est possible de se passionner pour la vérité ou bien si elle a une autre source.


Qu’il ne soit pas possible de se passionner pour la vérité, c’est ce qui semble découler de l’idée même de recherche de la vérité. En effet, celle-ci implique que l’on remette en cause toutes ses croyances, toutes ses opinions. Qui a des opinions, c’est-à-dire qui donne son assentiment à des propositions qu’il n’a pas examinées, se laisse guider par ses passions. En effet, si je donne mon assentiment à une proposition à laquelle je n’ai pas réfléchi, comme la raison ne peut être la source de mon assentiment, il faut donc admettre que celui-ci repose sur les passions qui sont miennes. Par exemple, la crainte me disposera à trouver des défauts en une personne. Aussi rechercher la vérité exige de commencer par détruire ses opinions, et donc de lutter contre elles : la vérité ne peut donc être l’objet d’une passion.
Quelle passion d’ailleurs ? Dira-t-on que c’est l’amour, prenant appui sur l’étymologie supposée de philosophie, c’est-à-dire l’amour de la sagesse. Mais, l’amour, en tant que passion, n’est pas le fruit de la réflexion. L’amour apparaît sans que l’amoureux ne sache pourquoi, telle la Phèdre de Racine (1639-1699), qui, à peine mariée à Thésée, tombe amoureuse d’Hyppolite (cf. Phèdre, acte I, scène 3). Qui aime juge que l’objet de son amour est bon. Or, un tel jugement n’est-il pas un préjugé ? En effet, si le jugement provient de la passion, alors il n’est pas le fruit de la raison et il ne peut donc qu’altérer l’objet. Comme Lucrèce le montre dans le livre IV de son De la nature, l’amant ne voit pas les défauts physiques de son aimée. Son désir, fixé sur un seul objet, altère son jugement. La passion pour la vérité impliquerait donc une altération du jugement. Plus précisément, une telle passion préjugerait de ce qu’est la vérité. On pourrait donc être passionné par la vérité, au sens où l’on croit la connaître comme on le voit dans le fanatisme religieux ou politique. Mais, la vérité est alors confondue avec la croyance que l’on tient pour vraie. Le philosophe comme le savant, parce qu’il recherche la vérité, n’éprouve aucune passion pour ses thèses. À l’instar de Socrate, il est près à être réfuté par son interlocuteur comme il le dit au rhéteur Gorgias (~480-~375 av. J.-C.) dans le dialogue de Platon qui porte son nom (cf. Platon, Gorgias, 458a-b). La philosophie, qui est recherche de la vérité dans tous les domaines, n’est donc pas amour de la sagesse, mais comme le grec le dit, amitié pour la sagesse. Or, l’ami n’est pas passionné : il garde sa lucidité.
En outre, si la passion est un désir exclusif qui égare, alors il est clair qu’il est impossible de se passionner pour quoi que ce soit. En effet, cela voudrait dire que l’on cherche à se tromper soi-même. Or, pour que je puisse tromper quelqu’un, il est nécessaire qu’il ne sache pas que je veuille le tromper. Aussi, je ne puis vouloir me tromper moi-même, car cela impliquerait que je sache que je me trompe pour me tromper, et que je ne le sache pas pour me tromper, ce qui est contradictoire. S’il est possible de se tromper soi-même, c’est donc plutôt en ce sens que la passion qui est mienne m’égare et que je me rends compte qu’elle m’égare comme Oreste dans l’Andromaque de Racine qui s’exclame : « Je me trompais moi-même ! » (Acte I, scène 1). Cet imparfait montre que la prise de conscience implique la lucidité. Ainsi, non seulement la passion pour la vérité n’est pas possible, mais en outre, il est impossible de se passionner pour elle.
Toutefois, s’il n’est pas possible de se passionner pour la vérité, comment est-il possible de la rechercher, voire de consacrer toute une vie à sa recherche ? On ne peut donc écarter l’hypothèse qu’il soit possible de se passionner pour la vérité, si on ne trouve pas ce qui conduit à la rechercher.

En effet, la recherche de la vérité implique qu’on la tienne pour un bien désirable. Or, il n’est pas possible de le savoir avant de l’avoir découverte. Peut-on comme les Stoïciens distinguer dans la tendance naturelle que nous avons à chercher le bien, la volonté qui vise le vrai bien et les passions qui visent les faux biens ? Pour qu’une telle distinction ait un sens, il faut donc d’abord admettre que la vérité est un bien. Ensuite, il faut admettre que la volonté soit un jugement vrai relatif au bien alors que les passions sont des jugements erronés relatifs aux biens et aux maux présents ou futurs, si l’on en croit l’exposé de la doctrine stoïcienne qu’a laissé Cicéron dans les Tusculanes (livre IV, VI). La racine commune à la volonté et aux passions est d’être une tendance naturelle qui nous fait chercher le bien. Une telle tendance n’est pas une passion pour les Stoïciens parce qu’elle n’est pas le fruit d’un jugement erroné. Les passions, dont les quatre fondamentales sont le désir, la crainte, le plaisir et la peine ne pourraient-elles pas avoir la vérité pour objet ?
On comprend de soi que la crainte de la vérité ne peut être passion pour la vérité, de même pour la peine. Mais, n’y aurait-il pas un plaisir à découvrir qui pourrait être une passion ? En lui-même, le plaisir est indifférent à la vérité. Ce qui me plaît peut être faux, illusoire ou vrai. Ce n’est donc pas en tant qu’il se rapporte au vrai que le plaisir est associé à la recherche de la vérité : il en serait plutôt une conséquence. Reste le désir. Le désir, selon les Stoïciens, est un jugement erroné relatif à un bien futur. En ce sens, il ne peut être la source d’une passion pour la vérité. Le désir nous emporte sans que nous réfléchissions. Un objet nous a-t-il fait plaisir, sans que nous examinions s’il est bon ou mauvais pour nous, nous le recherchons ? Aussi, le désir de la vérité est-il impossible. Se passionner pour la vérité est donc impossible. En effet, la passion nous présente son objet comme s’il était vrai. Quoi de plus surprenant par exemple que la passion du jeu où l’individu, pour un morceau de cuir gonflé ou pour quelques bouts de papier avec diverses figures, se comporte comme s’il s’agissait de la vie et de la mort. Qui de plus éloigné de la vérité que l’avare qui confond l’argent qui est un moyen avec une fin. Par contre, on comprend qu’il soit possible de se passionner dans la mesure où la passion est constituée par un jugement.
Si donc nous recherchons la vérité, c’est en tant que nous avons une tendance à rechercher le bien. Or, accompagner de raison, cette tendance est la volonté. On peut donc comprendre comment la recherche de la vérité est possible sans qu’elle vienne des passions. Elle est affaire de volonté. Une fois possédée, elle donne au sage la joie. C’est cette joie qui couronne la recherche du savant dans un domaine particulier. C’est cette joie qui accompagne la recherche du philosophe en tant qu’il a le tout comme objet de connaissance. Résultat d’une action plutôt que d’une passion, la joie se distingue alors du plaisir illusoire que donne le désir. Et comme elle a sa source dans la volonté, elle n’est pas fixée à un objet particulier. Le savant comme le philosophe est indifférent à ce qui est vrai. À la différence du croyant pour qui l’objet de sa croyance est la Vérité, qui a foi en elle et qui cherche à lui donner des raisons après coup, qui lui est donc passionner pour ce qu’il croit être la vérité, le savant ou le philosophe cherche la vérité indépendamment de toute croyance.
Or, comment comprendre que la volonté, c’est-à-dire la tendance au bien accompagnée de raison, recherche la vérité si elle ne la connaît pas ? Comment même la recherche de la vérité est-elle possible ? En effet, je ne puis rechercher que ce que je connais d’une certaine façon. Or, si je recherche la vérité, c’est que je ne la connais pas. Dès lors, l’idée d’une volonté de découvrir le vrai apparaît insuffisante ou elle se confond avec la croyance ou plutôt avec une croyance : la croyance en la vérité.

Or, peut-on réduire la vérité à une pure croyance pour laquelle il serait possible de se passionner ou bien est-elle un présupposé nécessaire vers quoi tend notre désir? Il est certes nécessaire d’admettre que nous avons une idée de la vérité qui est constitutive de notre raison, sans quoi celle-ci n’aurait aucun objet. Il est également nécessaire d’admettre l’impossibilité de démontrer l’existence de la vérité. En effet, il faut savoir ce qu’est la vérité pour déterminer si une connaissance est vraie ou non comme Descartes l’a fait remarquer dans une Lettre à Mersenne du 16 octobre 1639. Pourtant, celui qui nierait que nous ayons une idée de la vérité, à la façon du sceptique devrait soit avouer qu’il comprend quelque chose en parlant de la vérité, et alors nous avons bien une idée de la vérité, soit qu’il ne sait pas de quoi il parle. On peut donc réduire comme Nietzsche dans le Gai Savoir (livre V, n°344 « En quoi nous sommes, nous aussi, encore pieux ») l’idée de vérité au statut d’une simple croyance. En effet, on ne peut vouloir la connaître sans admettre comme postulat qu’elle est un bien absolu alors qu’on ne la connaît pas. C’est bien au nom de la vérité que la croyance est dénoncée. Sans donc savoir qu’est-ce qui est vrai, il est donc possible de tendre vers la vérité.
Or, une telle tendance implique que l’on manque de ce vers quoi on tend. Or, telle est la nature du désir comme Platon le montre dans le Banquet (199d-200e). On ne peut désirer que ce dont on manque ou désirer ce qu’on possède mais pour l’avenir. Par exemple, quelqu’un de riche désire être riche, non pas en tant qu’il est riche, mais pour l’être à l’avenir. Or, pour manquer de quelque chose, encore faut-il en un sens, savoir de quoi on manque. Pour les désirs du corps, leur origine est dans le plaisir ou plutôt dans la mémoire d’un plaisir antérieur. Je ne puis désirer boire que si j’ai en mémoire que l’eau va me permettre d’étancher ma soif. Aussi, peut-on dire avec Platon dans le Philèbe (34c-36c) le désir a-t-il l’âme et non le corps pour principe. Si donc on comprend comment l’expérience ou encore le besoin naturel, c’est-à-dire cette connaissance innée qui semble accompagner la vie, ou même la vie sociale, peut faire naître la plupart des désirs, le désir de la vérité présuppose que nous l’avons connue et que nous l’ayons oubliée. Même le sceptique qui nie que l’on puisse connaître la vérité ne peut expliquer qu’on la recherche. Quant à l’affirmation selon laquelle elle est une illusion ou une erreur, elle se heurte à une objection simple, à savoir qu’une telle affirmation se contredit elle-même.
On peut donc avec Platon concevoir que la recherche de la vérité soit bien de l’ordre du désir. Or, en tant qu’elle est l’activité essentielle du philosophe, en tant qu’elle est son but, on peut la concevoir comme une passion, plus précisément comme l’amour de la vérité. La notion de passion ici doit être prise au sens de Hegel, à savoir du but unique dans lequel un individu met toute son énergie, tout son être (cf. La raison dans l’histoire ou Leçons sur la philosophie de l’histoire, Introduction). En ce sens, le désir de la vérité lorsqu’il guide toute l’existence d’un individu, qu’il soit un savant ou un philosophe, est bien une passion. On peut l’entendre aussi en ce sens que le manque de la vérité fait souffrir tout comme les autres désirs et que ce manque est subi. En outre, on peut dire que c’est l’individu qui se passionne, en tant qu’il répond au désir de la vérité qui est en lui, désir qui est en tout homme, mais qui souvent est submergé par les autres désirs.


On peut dire en guise de conclusion que s’il apparaissait impossible de se passionner pour la vérité, la raison en est que la plupart des passions détournent de la réflexion. C'est pourquoi celle-ci semblait provenir de la volonté. Toutefois, il est apparu impossible que d’elle-même la volonté se dirige vers la vérité si celle-ci n’apparaissait pas comme l’objet du désir entendu comme manque.
Aussi, lorsqu’un savant ou un philosophe consacre son existence à la recherche de la vérité peut-on dire qu’il se passionne pour la vérité en tant non seulement qu’il en fait son activité principale et essentielle, mais également en ce sens qu’il répond en lui à un désir qui peut caractériser l’homme comme Platon l’a pensé dans son Phèdre (249b).


vendredi 20 février 2015

Contre la théodicée

Il y a déjà bien des années, j’ai pensé que notre monde pourrait être l’œuvre d’un être subordonné, et je ne peux toujours pas revenir sur cette pensée. C’est une sottise de croire qu’aucun monde n’est possible dans lequel il n’y aurait pas de maladie, pas de souffrance et pas de mort. Ne se représente-t-on pas pourtant bel et bien le Ciel ainsi ? Parler d’un temps d’épreuve, de formation graduelle veut dire penser de façon très humaine à propos de Dieu et est du pur verbiage. Pourquoi ne devrait-il pas y avoir des degrés d’esprits allant vers le haut jusqu’à Dieu et pourquoi notre monde ne devrait-il pas pouvoir être l’œuvre d’un qui ne comprenait pas encore très bien la chose, un essai ? Je veux dire notre système solaire ou notre nébuleuse toute entière, qui s’arrête à la voie lactée. Peut-être que les nébuleuses que Herschel a vues ne sont que des spécimens qui ont été livrés ou des spécimens auxquels on travaille encore. Quand je considère la guerre, la famine, la pauvreté et la peste, il m’est impossible de croire que tout est l’œuvre d’un être suprêmement sage, ou bien il doit avoir trouvé un matériau indépendant de lui, par lequel il a été dans une certaine mesure limité, de telle sorte que ceci ne serait le meilleur monde que relativement, comme cela a été effectivement déjà souvent enseigné.

Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), Aphorismen, traduit par Jacques Bouveresse.

mercredi 18 février 2015

Hume : biographie


David Hume de son vrai nom David Home est né à Edimbourg en Écosse le 26 avril 1711. Il est le troisième et dernier enfant d’une famille de petite noblesse écossaise et calviniste. Sa famille a compté des juristes. Il a un frère aîné, John Hume ou Home (1709-1786), et une sœur qui se prénomme Catherine.
Son père, Joseph Home de Chirnside (1680-1714), un avocat, meurt en 1714. Sa veuve, l’aristocrate Katherine Lady Falconer (1683-1745), élève avec l’aide de son beau-frère pasteur presbytérien ses enfants dans la propriété de Ninewells à Chirnside qui se situe à une soixantaine de kilomètres au sud d’Edimbourg. C’est de ce petit bourg que sont originaires les Home. Son frère aîné obtient l’essentiel de l’héritage et vivra en gentilhomme campagnard.
En 1722, David entre au collège d’Edimbourg, qui deviendra université. David se montre studieux. Il étudie le grec avec William Scot, la logique et la métaphysique avec Colin Drummond, qui s’intéresse à la nouvelle philosophie, c’est-à-dire à Newton. Hume étudie quelque peu les mathématiques avec James Gregory (second du nom : son père enseignait aussi les mathématiques), la rhétorique, le droit, l’histoire, la philosophie morale et la « philosophie naturelle », c’est-à-dire la physique. Il y a comme enseignant dans cette discipline surtout Robert Stewart, disciple de Newton (1642-1727) qui avait publié en 1687 les Principes mathématiques de la philosophie naturelle. On trouve également à partir de 1725, Colin Maclaurin. On trouve une certaine ressemblance entre son Account of Sir Isaac Newton’s Philosophical Discoveries publié à titre posthume en 1746 et certains texte de Hume se référant à Newton (cf. Yves Michaud, Hume et la fin de la philosophie, P.U.F., 1983, p.34-35). Sa famille le destine à la profession d’avocat.
En 1734, David est en crise. Il pense avoir une vocation philosophique et littéraire. C’est ce qu’il explique dans une lettre vraisemblablement adressée à John Arbuthnot. Il change son nom en Hume, plus facile à prononcer pour un anglais que le Home écossais. Il refuse le destin tracé par sa famille. À l’instigation de sa famille, il travaille quelques temps chez un commerçant de sucre à Bristol. Il dira dans son Autobiographie à fa fin de sa vie que c’était un faux départ. Il séjourne brièvement à Paris puis s’installe bientôt à Reims.
De 1735 à 1737, après Reims, il s’installe à château d’Yvandeau à La Flèche et fréquente le collège de La Flèche qui avait eu Descartes (1596-1650) comme élève. Il rédige le Traité de la nature humaine (A Treatise of Human Nature, being an attempt to introduce the experimental method of reasoning into moral subjects) dont le sous titre est Essai pour introduire la méthode expérimentale dans les sujets moraux (traduction André-Louis Leroy [1892-1967]). Il retourne à Londres en 1737 pour éditer l’ouvrage.
En septembre 1738, il trouve un éditeur pour son ouvrage. Il rentre chez lui voir sa mère et son frère. Il note dans son autobiographie, Ma vie (My own life), que son frère développait sa fortune.
Les deux premiers livres, « L’entendement » et les « Passions » paraissent anonymement en janvier 1739. C’est un échec. Il dira dans Ma vie que l’ouvrage « était tombé mort-né de la presse ». Hume rentre à Ninewells. Il fait la connaissance du philosophe écossais lord Kames (Henry Home, 1696-1782) et entre en correspondance avec un autre philosophe écossais, Francis Hutcheson (1694-1746), professeur de philosophie à l’université de Glasgow depuis 1729. C’est sur la recommandation de ce dernier qu’il envoie à Adam Smith (1723-1790), alors étudiant, son ouvrage (cf. Albert Schatz, L’œuvre économique de Hume, 1972, p.10).
En mars 1740, il publie l’Abrégé du Traité de la nature humaine (Abstract of a book lately published, entitulied A Treatease of Human Nature etc. wherein the chief argument of that book is farther illustrated and explained) et à l’automne fait paraître grâce à Hutcheson le livre III du Traité « La morale » avec un Appendice qui porte sur les questions de la croyance et de l’identité personnelle. L’échec se confirme.
En 1741, il vit avec sa mère et son frère aîné. Il étudie le grec. Il fait paraître les Essais moraux et politiques (Essays, moral and political), un recueil anonyme de quinze textes sur des sujets très divers : 1) De la délicatesse du Goût et de la Passion (Of the delicacy of taste and passion) [la première permettant de corriger la seconde] ; 2) De la Liberté de la Presse (Of the liberty of the press) ; 3) De l’Orgueil et de la Modestie (Of impudence and modesty) ; 4) Que la Politique peut être réduite à une Science (That politics may be reduce to a science) ; 5) Des premier Principes du Gouvernement (Of the first principles of government) ; 6) De l’Amour et du Mariage (Of love and marriage) ; 7) De l’Étude de l’Histoire (Of the study of history) ; 8) De l’Indépendance du Parlement (Of the independency of the parliament) ; 9) Le Gouvernement penche-t-il plus vers la Monarchie ou vers la République (Whether the british government inclines more to absolute monarchy, or to a republic) ; 10) Des Partis en général (Of parties in general) ; 11) Des Partis de la Grande-Bretagne (Of the parties of Great Britain) ; 12) De la Superstition et de l’Enthousiasme (Of superstition and enthousiasm) ; 13) De l’Avarice (Of avarice) ; 14) De la Dignité de la Nature humain (Of the dignity or meanness of human nature) [où il critique la réduction de la morale à une passion égoïste qu’opérait Hobbes] ; 15) De la liberté et du despotisme (Of liberty and Despotism) qui deviendra De la liberté civile (Of civil liberty). C’est un succès.
En 1742, une seconde édition des Essais moraux et politiques, augmentée de douze textes supplémentaires paraît : 1) De l’essai comme mode d’écriture (Of essay writing) ; 2) De l’Éloquence (Of Eloquence) ; 3) Des Prédispositions morales ou Des préjugés moraux (Of moral prejudices) ; 4) De la Vie de condition moyenne (Of the middle station of life) ; 5) De la Naissance et du Progrès des Arts et des Sciences (Of the rise and progress of the arts and sciences) ; 6) L’Épicurien (The Epicurean) ; 7) Le Stoïcien (The Stoic) ; 8) Le Platonicien (The Platonist) ; 9) Le Sceptique (The Sceptic) ; 10) De la Polygamie et des Divorces (Of polygamy and divorces) ; 11) De la Simplicité et du Raffinement (Of simplicity and refinement in writing) ; 12) Le caractère de Sir Robert Walpole (A character of Sir Robert Walpole). Le succès se confirme.
En 1744, il se présente à la chaire de « morale et philosophie pneumatique » (Ethics and pneumatical philosophy) de l’Université d’Edimbourg sans succès. Les dévots se sont opposés à lui. Le Principal de l’université, William Wishart (1691/92-1753), second du nom, fait paraître un pamphlet rédigé contre Hume ; il est accusé d’hérésie et de scepticisme. Même les modérés comme Hutcheson ne veulent pas de lui.
En 1745, dans une Lettre à un ami (A letter from a Gentleman to his friend in Edinburgh, containing some observations on a Specimen of the principles concerning religion and morality, said to be maintained in a book lately published, intitulied A Treatease of Human Nautre, etc.), Hume se défend, sans succès, des accusations d’hérésie, de scepticisme et d’athéisme qu’avait proférées William Wishart. Il demeure à la charge de sa famille. Sa mère meurt.
À partir de 1746, il est d’abord précepteur du jeune marquis d’Annandale (1720-1792), 3ème du nom dans sa propriété de Saint-Albans. Mais le jeune marquis sombre bientôt dans la folie. Hume est en butte à des intrigues. Il devient secrétaire particulier du général James Sinclair ou Saint-Clair ( ?-1762), un écossais. Il l’accompagne d’abord comme secrétaire dans une expédition manquée contre Lorient qui se déroule du 29 septembre au 10 octobre. Hume revient à Ninewells. Puis, il suit le général Sinclair où il est maréchal de camp dans une mission diplomatique à Cologne, Francfort, Vienne, Turin, Mantoue.
En 1748, trois Essais moraux et politiques publiés sous son nom, complètent la précédente édition : 1) Des Caractères nationaux (Of national characters) ; 2) Du Contrat originel (Of the original contract) 3) De l’Obéissance passive (Of passive obedience). Il publie les Essais philosophiques sur l’entendement humain (Philosophical Essays concerning human Understanding) qui est une refonte du livre I du Traité de la nature humaine. Montesquieu (1689-1755) lui adresse un exemplaire de son grand ouvrage, De l’esprit des lois qu’il vient de publier. Une correspondance s’ensuit. À l’automne, Hume publie une version remaniée des Essais moraux et politiques qui comprennent 26 essais.
En avril 1749 il revient à Londres. Il retourne vivre dans la maison de campagne de son frère où il restera deux ans (cf. Ma vie).
En 1750, nouvelle édition des Essais philosophiques sur l’entendement humain.
En 1751, il publie une troisième édition des Essais philosophiques sur l’entendement humain. Il commence la rédaction des Dialogues sur la religion naturelle (Dialogues concerning natural religion) comme le montre une lettre qu’il adresse à Gilbert Elliot, 3ème baron de Minto (1722-1777) datée du 10 mars. Peut-être les achève-t-il déjà. Soucieux d’indépendance matérielle, il est candidat une nouvelle fois à une chaire. Il s’agit de la chaire de morale de l’université de Glasgow qu’Adam Smith (1723-1790) a quittée. C’est un nouvel échec dû aux religieux. Il devient Conservateur de la Bibliothèque de l’ordre des avocats d’Edimbourg. Son élection divise la capitale de l’Écosse en deux camps : celle des chrétiens contre celle de l’athéisme, du déisme et du scepticisme. Selon Hume, les « chrétiens » furent battus par le diable. Hume travaille alors à son Histoire de l’Angleterre. Il publie en novembre à Londres l’Enquête sur les principes de la morale (Enquiry on the Principles of Morals) qui est une refonte du livre III du Traité de la nature humaine.
En 1752, il publie les Discours politiques (Political Discourses) constitués de douze essais : 1) Du commerce (Of commerce) ; 2) Du luxe (Of refinement in the arts) ; 3) De l’argent (Of money) ; 4) De l’intérêt (Of interest) ; 5) De la balance du commerce (Of the jealousy of trade) ; 6) De la balance du pouvoir (Of the balance of power) ; 7) Des taxes (Of taxes) ; 8) Du crédit publie (Of public credit) ; 9) Sur quelques coutumes remarquables (Of some remarkable customs) ; 10) Sur le nombre d’habitants parmi quelques nations anciennes (Of the populousness of ancient nations) ; 11) Sur la succession protestante (Of the protestant succession) ; 12) Idée d’une république parfaite (Idea of the perfect commonwealth).
En 1753, Hume commence la publication en quatre volumes de toutes ses œuvres philosophiques sous le titre : Essais et traités sur plusieurs sujets (Essays and treatises on several subjects).
En 1754, il commence la publication de son Histoire de l’Angleterre (The history of Great Britain). Elle comprendra : volume I : des premiers Britanniques à Jean d’Angleterre (du commencement à 1216) ; volume II : de Henry III à Richard III (de 1216 à 1485) ; volume III : de Henry VII à Mary 1ère (de 1485 à 1558) ; volume IV : Elizabeth (de 1558 à 1603) ; volume V : James ou Jacques Ier et Charles Ier (de 1603 à 1649) ; volume VI : du Commonwealth de Cromwell à James ou Jacques II (de 1649 à 1688). Il commence par le volume 5 : L’histoire de l’Angleterre, James ou Jacques 1er (The history of Great Britain, containing the reigns of James I and Charles I). Une polémique s’ensuit car Hume est accusé d’incrédulité.
En janvier 1757 il quitte sa fonction de Conservateur de la Bibliothèque de l’ordre des avocats d’Edimbourg. Il publie Les Quatre Dissertations (Four Dissertations) : L’Histoire naturelle de la religion (The natural history of religion), la Dissertation sur les Passions (Of the passions) qui est une version abrégée du livre II du Traité de la nature humaine, la Dissertation sur la Tragédie (Of tragedy), la Dissertation sur la Norme du goût (Of the standard of taste). Une des dissertations prévues, Remarques préliminaires à la géométrie et à la philosophie naturelle, fut retirée sur les conseils d’un de ses amis mathématiciens et vraisemblablement détruite. Les dissertations Sur le Suicide (Of suicide) et Sur l’Immortalité de l’âme (Of the immortality of the soul) écrites à ce moment-là, et qui devaient faire partie du volume, n’ont pas été publiées de son vivant en anglais. Il publie un nouveau volume de son Histoire de l’Angleterre, le volume VI : Histoire d’Angleterre, du Commonwealth de Cromwell à James ou Jacques II (de 1649 à 1688) (The history of Great Britain, containing the Commonwealth, and the reigns of Charles II and James II)
En 1758, les Essais philosophiques deviennent l’Enquête sur l’entendement humain (Enquiry concerning human Understanding). Hume complète ses Discours politiques. Il réédite ses Essais avec quelques modifications. En août, il publie un autre volume de son Histoire de l’Angleterre qui comprend les volumes 3 et 4 : Histoire d’Angleterre contenant la maison des Tudor (The history of England under the House of Tudor).
En 1760, il complète une seconde fois ses Discours politiques. Il réédite ses Essais avec deux nouveaux titres, De la jalousie du commerce et De la coalition des partis. Une traduction française des Œuvres philosophiques de M. D. Hume paraît à Amsterdam. En France, le 26 juillet, Voltaire fait jouer une comédie L’Écossaise ou le caffé dont il se prétend le traducteur et qu’il attribue à John Home, prêtre et poète, qu’il transforme en « frère de Hume l’athée » (cf. Lettre de Voltaire à Monsieur le Comte d’Argental du 6 juillet 1760). L’année suivante, il reconnaîtra la paternité de son œuvre.
À partir de 1761, il entretient une correspondance avec Marie-Charlotte Hippolyte de Campet de Saujon, comtesse de Boufflers (1724-1800), maîtresse du prince de Conti (1717-1776), qui est liée aux « philosophes ». On lui attribue des mœurs assez légères. C’est une dame d’une grande culture. La France des Lumières veut connaître l’ennemi de la superstition et du fanatisme, l’apôtre de la tolérance et de la modération.
En 1762 il publie un autre volume de son Histoire de l’Angleterre qui comprend les volumes 1 et 2 : Histoire d’Angleterre depuis l’invasion de Jules César jusqu’à l’avènement de Henri VII (The history of England from the invasion of Julius Caesar to the accession of Henry VII (first published in 1762).
En 1763, la comtesse de Boufflers se rend à Londres au moment des négociations de paix. Elle veut voir Hume mais il est à Edimbourg. Elle lui demande son appui pour aider Rousseau (1712-1778) poursuivi depuis la publication du Contrat social et de l’Émile. Finalement, à la demande de Lord Hertford (1718-1794), Hume devient son secrétaire privée et le suit à Paris où il arrive en octobre. Il est reçu dans tous les Salons : chez Mme du Deffand (1697-1780) ou chez sa nièce naturelle Julie de Lespinasse (1732-1776), Mme Geoffrin (1699-1777). Il est reçu chez ses amis Helvétius (1715-1771) et le baron d’Holbach (1723-1789), philosophe matérialiste et athée notoire. Il se lie d’amitié avec le physicien d’Alembert (1717-1783), le naturaliste Buffon (1707-1788), l’encyclopédiste et écrivain Marmontel (1723-1799), l’écrivain et philosophe Diderot (1713-1784), l’écrivain et historien Charles Duclos (1704-1772). Il est également reçu à la Cour. Il publie l’intégralité de son Histoire d’Angleterre.
En 1764 paraît une nouvelle édition des Essais et traités sur divers sujets. Une traduction française des Œuvres philosophiques de M. Hume paraît à Londres.
En juillet 1765, il est nommé secrétaire titulaire. Paraît en traduction française l’Histoire d’Angleterre contenant la maison de Tudor de David Hume. Lord Hertford devient Lord Lieutnant d’Irlande, c’est-à-dire vice-roi. Hume reste en qualité de chargé d’affaires en attendant le successeur de son mentor. Sachant qu’il va quitter Paris, il invite Rousseau en Angleterre.
Début 1766, Hume quitte Paris en emmenant avec lui Rousseau. Ce dernier séjourne à Londres puis à Wooton. Peu après, Rousseau et lui se brouillent.
En 1767, Hume, à la demande de lord Hertford alors Lord Chamberlain, c’est-à-dire haut fonctionnaire à la Cour, accepte le poste de sous-secrétaire d’État pour les affaires nordiques et les affaires intérieures auprès du général Conway, frère de lord Hertford. Il réside à Londres. Il publie un Exposé succinct de la contestation entre M. Hume et M. Rousseau avec les pièces justificatives que les Encyclopédistes, ennemis de Rousseau, publient en France. Il fait de nouveau publier les Essais et traités sur divers sujets.
En janvier 1768, il quitte son poste après que le général Conway a quitté le secrétariat d’État. Il reste encore dix-huit mois à Londres. Il s’occupe de l’édition des Histoires d’Adam Fergusson (1723-1816) et de William Robertson (1721-1793) et de la réédition de ses propres œuvres. Paraît en français l’Histoire d’Angleterre contenant la maison de Stuart par David Hume.
En 1769, il est de retour à Edimbourg. Il fréquente les représentants des « Lumières » de l’« Athènes du Nord » : Adam Fergusson, Adam Smith, Lord Kames (1695-1782), John Millar (1735-1801).
De 1770 à 1776, il corrige, édite, réédite ses œuvres en anglais et en français. Les dissertations Sur le suicide et Sur l’immortalité de l’âme sont publiées en traduction française en 1770.
Il envoie le 26 octobre 1775 à son éditeur un avertissement qui doit être publié en tête du second volume des Essais et traités. Cet avertissement exclut le Traité de la nature humaine de ses œuvres, Hume considérant que les deux enquêtes, l’Enquête sur l’entendement humain et l’Enquête sur les principes de la morale, la Dissertation sur les passions et l’Histoire naturelle de la religion le remplacent.
En 1775 paraît à Amsterdam traduit en français par Madame B*** l’Histoire d’Angleterre depuis l’invasion de Jules César jusqu’à l’avènement de Henri VII par David Hume.
En 1776, il rédige une autobiographie : Ma vie (My own life). Il s’occupe de la publication posthume des Dialogues sur la religion naturelle. Il en confie la charge à Adam Smith. Devant ses réticences, il confie son texte à son éditeur, William Strahan (1715-1785).
Il meurt à Edimbourg le 25 août 1776. Une foule nombreuse assiste à l’enterrement. Un des assistants se serait écrié : « Ah ! C’était un athée ». Son voisin aurait rétorqué : « Aucune importance, c’était un honnête homme ».
Après sa mort ont été publiées un certain nombre d’œuvres, le Suicide, l’Immortalité de l’âme, un essai De l’origine du gouvernement (Of The Origin of Government). En 1779, sont publiées les Dialogues sur la religion naturelle, livre travaillé peut-être pendant un quart de siècle et qui est comme un testament philosophique. Il sort également en traduction française.