mardi 26 mai 2015

Spinoza : biographie

Vie.
Baruch Spinoza ou Baruch Espinoza (Méchoulan 1991, p.137) ou Baruch de Spinoza (cf. Lucas, Vie de Spinoza) ou Bento d’Espinoza est né le 24 novembre 1632 à Amsterdam. On a pu dire que c’était à ce moment-là, la ville la plus libre et la plus puissante du monde (Méchoulan 1991, p.11). Son prénom hébreu, Baruch, signifie « béni ». De même que son prénom portugais, « Bento » (cf. Rizk 2012, p.7). C’est le prénom dont il usera lorsqu’il reprendra l’entreprise de son père (cf. Jacqueline Lagrée « Spinoza ou la conscience d’une ville », in Amsterdam XVII°, p.140). Aussi se fera-t-il prénommé selon la traduction latine, Benedictus, une fois sortie de la communauté juive.
Son grand-père, Abraham et son père, Michael (1587/1588-1654), avaient fui les persécutions religieuses de la péninsule ibérique. Après Nantes (cf. Méchoulan 1991, p.80 ; Meinsma 1896, p.75), ils s’installent à Amsterdam. Ils y arrivent en 1593. En effet, les juifs de la partie chrétienne de la péninsule ibérique souffraient de façon intermittente. Une politique de conversion douce ou forcée était conduite par les souverains catholiques. Massacrés en 1391, ils sont expulsés d’Espagne en 1492 l’année de la disparition du dernier royaume musulman.
Ceux qui étaient restés s’étaient formellement convertis au catholicisme. Mais ils étaient en butte à l’hostilité des chrétiens de “sang”. Ce sont des marranes selon l’expression péjorative des Espagnols et des Portugais pour désigner les juifs et les musulmans convertis au catholicisme qu’on soupçonne de pratiquer leur religion première en cachette (cf. Révah 1995, p.30). Le mot en effet renvoie au porc, interdit dans les deux religions interdites. On en trouve un usage chez les autres Européens ; par exemple Rabelais (1483-1553) l’utilise pour caractériser les Espagnols en général dans le chapitre VIII de son Gargantua (1534). Elle désigne aussi bien ceux qu’on peut nommer les cryptojuifs, c’est-à-dire les juifs qui vivent dans la duplicité, officiellement convertis au catholicisme, mais juifs en tant que croyants et vivant leur foi dans le secret, que les juifs sincèrement convertis, mais considérés comme impurs par le sang pour les Espagnols puis les Portugais (sur la différence entre marrane et cryptojuif, Méchoulan 1991, p.12-13). En effet, depuis les statuts de la pureté du sang, pris à Tolède le 5 juin 1449, se distinguent racialement les chrétiens anciens des juifs convertis à qui sont interdits toute fonction honorifique ou publique. D’un point de vue religieux, l’eau baptismale n’était censée faire aucun effet sur eux (cf. Méchoulan 1991, p.13 sq.).
Quant au Portugal, à partir de 1497, les Juifs y sont contraints de se convertir. Jusqu’en 1536, ils ne sont pas inquiétés même si leur foi n’était pas sincère. On peut signaler toutefois un massacre de nouveaux chrétiens en 1506 (Méchoulan 1991, p.15). Leur situation sociale et financière est bonne. La fondation de l’Inquisition au Portugal à la demande du roi Manuel 1er (1469-1495-1521) eut lieu après sa mort en 1536. Elle rend de nouveau difficile la situation des cryptojuifs. En 1580, Philippe II (1527-1556-1598) envahit le Portugal et l’annexe à son empire. Paradoxalement, cette invasion leur permet de mieux se cacher (Méchoulan 1991, p.15 et sq.). Mais rapidement, l’Inquisition se fait féroce. Les juifs qui fuiront la péninsule se feront appeler « portugais » aux Pays-Bas, qu’ils soient portugais ou espagnols (Méchoulan 1991, p.15).
En 1556, les provinces du Nord de la monarchie espagnole, les Pays-Bas et la Belgique actuels, se révoltent. C’est une longue guerre qui commence. En 1579, la déclaration d’Utrecht fonde la nouvelle nation. Son article 13 précise que nul ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses. Après 80 ans de guerre interrompue par une trêve entre 1608 et 1621, la République des Provinces-Unies se voit reconnue en 1648. Elle apparaît comme un havre de paix et de prospérité. Descartes (1596-1650) s’y était installé malgré la guerre. Il en propose une description qui mérite d’être citée dans une lettre à l’écrivain libertin Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654) datée du 5 mai 1631 :
« Même vous devez pardonner à mon zèle, si je vous convie de choisir Amsterdam pour votre retraite et de le préférer, je ne vous dirai pas seulement à tous les couvents des Capucins et des Chartreux, où force honnêtes gens se retirent, mais aussi à toutes les plus belles demeures de France et d’Italie, même à ce célèbre Ermitage dans lequel vous étiez l’année passée. Quelque accomplie que puisse être une maison des champs, il y manque toujours une infinité de commodités, qui ne se trouvent que dans les villes ; et la solitude même qu’on y espère ne s’y rencontre jamais toute parfaite. Je veux bien que vous y trouviez un canal, qui fasse rêver les plus grands parleurs, et une vallée si solitaire, qu’elle puisse leur inspirer du transport et de la joie ; mais mal aisément se peut-il faire, que vous n’ayez aussi quantité de petits voisins, qui vous vont quelquefois importuner, et de qui les visites sont encore plus incommodes que celles que vous recevez à Paris. Au lieu qu’en cette grande ville où je suis, n’y ayant aucun homme, excepté moi, qui n’exerce la marchandise, chacun y est tellement attentif à son profit, que j’y pourrais demeurer toute ma vie sans être jamais vu de personne.
Je vais me promener tous les jours parmi la confusion d’un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez faire dans vos allées, et je n’y considère pas autrement les hommes que j’y vois, que je ferais les arbres qui se rencontrent en vos forêts, ou les animaux qui y paissent. Le bruit même de leur tracas n’interrompt pas plus mes rêveries que ferait celui de quelque ruisseau. Que si je fais quelquefois réflexion sur leurs actions, j’en reçois le même plaisir, que vous feriez de voir les paysans qui cultivent vos campagnes ; car je vois que tout leur travail sert à embellir le lieu de ma demeure, et à faire que je n’y manque d’aucune chose. Que s’il y a du plaisir à voir croître les fruits en vos vergers, et à y être dans l’abondance jusqu’aux yeux, pensez-vous qu’il n’y en ait pas bien autant, à voir venir ici des vaisseaux, qui nous apportent abondamment tout ce que produisent les Indes, et tout ce qu’il y a de rare en Europe ? Quel autre lieu pourrait-on choisir au reste du monde, où toutes les commodités de la vie, et toutes les curiosités qui peuvent être souhaitées, soient si faciles à trouver qu’en celui-ci ? Quel autre pays, où l’on puisse jouir d’une liberté si entière, où l’on puisse dormir avec moins d’inquiétude, où il y ait toujours des armées sur pied exprès pour nous garder, où les empoisonnements, les trahisons, les calomnies soient moins connus, et où il soit demeuré plus de reste de l’innocence de nos aïeux ? Je ne sais comment vous pouvez tant aimer l’air d’Italie, avec lequel on respire si souvent la peste, et où toujours la chaleur du jour est insupportable, la fraîcheur du soir malsaine, et où l’obscurité de la nuit couvre des larcins et des meurtres. Que si vous craignez les hivers du Septentrion, dites-moi quelles ombres, quel éventail, quelles fontaines vous pourraient si bien préserver à Rome des incommodités de la chaleur, comme un poêle et un grand feu vous exempteront ici d’avoir froid ? » Descartes, Lettre à Guez de Balzac du 5 mai 1631.
Pour sa part, voilà comment Spinoza la décrira après son illustre devancier :
« Que la ville d’Amsterdam nous soit en exemple, cette ville qui, avec un si grand profit pour elle-même et à l’admiration de toutes les nations, a goûté les fruits de cette liberté ; dans cette république très florissante, dans cette ville très éminente, des hommes de toutes nations et de toutes sectes vivent dans la plus parfaite concorde et s’inquiètent uniquement, pour consentir un crédit à quelqu’un, de savoir s’il est riche ou pauvre et s’il a accoutumé d’agir en homme de bonne foi ou en fourbe. D’ailleurs la Religion ou la secte ne les touche en rien, parce qu’elle ne peut servir à gagner ou à perdre sa cause devant le juge ; et il n’est absolument aucune secte, pour odieuse qu’elle soit, dont les membres (pourvu qu’ils ne causent de tort à personne, rendent à chacun le sien et vivent honnêtement) ne soient protégés et assistés par l’autorité des magistrats. » Spinoza, Traité théologico-politique (anonyme 1670), traduction de Charles Appuhn (1862-1942), chapitre XX.
C’est à la fin du xvi° qu’arrivent les premiers juifs de la communauté d’Amsterdam de la péninsule ibérique parmi lesquels on compte donc le grand-père et le père de notre philosophe (Méchoulan 1991, p.22-23). Un statut, préparé notamment par le philosophe et juriste Hugo Grotius (1583-1645), leur est octroyé au terme duquel certaines fonctions leurs sont interdites (comme le commerce de détail mais non le commerce en gros). Il leur est fait obligation de croire et de pratiquer le judaïsme contrairement à certaines sectes protestantes qui demeurent interdites malgré la tolérance de principe. Les juifs n’ont pas l’obligation de vivre dans un ghetto. Ils ont l’interdiction de faire du prosélytisme et d’écrire contre le christianisme (cf. Méchoulan 1991, p.24-26). Rapidement, se constituent trois communautés.
Le père du philosophe, Michael d’Espinoza, fait dans le commerce international d’épices et de fruits secs. Il a eu deux enfants avec sa première épouse, Rachel : Isaac et Rebecca. Après son décès en 1627, il épouse Hanna Debora, la mère de notre philosophe. Elle eut Miriam, née vers 1629 et après Baruch, Gabriel, né entre 1634 et 1638. Le 5 novembre 1638, sa mère décède.
À partir de 1639, Spinoza fait ses études dans une école rabbinique, Ets Haïm, c’est-à-dire « arbre de vie » ou Keter Torah, c’est-à-dire « couronne de la Torah ». Il a pour professeur Menasseh Ben Israël (1604-1657), dont Rembrandt (1606-1669) a fait un portrait (1640) et Saül Levi Morteira (1596-1660). Il travaille aussi dans la maison de commerce de son père. La langue qu’utilisent les juifs d’Amsterdam pour les affaires est le portugais, mais pour la culture, c’est le castillan (c’est-à-dire l’espagnol). La plupart ignore totalement l’hébreu à tel point que leur connaissance religieuse nécessite l’usage de traduction en castillan de la Bible et des autres textes (cf. Méchoulan 1991, p.28-32).
Le 28 avril 1641, le père de Spinoza, Michael épouse sa troisième femme, Esther de Soliz (~1601-1653).
À la fin des années 1630, Spinoza assiste au châtiment d’Uriel da Costa (1585-1640). Né Gabriel et catholique au Portugal, il reçoit une formation universitaire thomiste. Il rejette le catholicisme et se forge un judaïsme personnel par la lecture de l’Ancien Testament. Arrivé à Amsterdam, il est rapidement en opposition avec le judaïsme que les rabbins tentent de faire vivre. Il est d’abord convaincu qu’il n’y a pas d’immortalité de l’âme puisqu’il n’en trouve pas la mention dans l’Ancien Testament. Selon lui, la seule différence entre l’homme et les animaux, c’est la présence d’une âme raisonnable. En 1625, il est une première fois condamné par le magistrat d’Amsterdam sollicité par la communauté juive à une forte amende et à voir ses livres brûlés. Un herem est prononcé contre lui. Le herem est une sorte d’excommunication qui conduit le condamné à l’isolement. Il est interdit de lui adresser la parole, il ne peut participer au culte à la synagogue et ne peut bénéficier, s’il est dans le besoin de la charité de la communauté. Économiquement, il est exclu des relations de la communauté juive. La durée du herem est variable, de un jour à plusieurs années. Rares sont les peines à vie (cf. Méchoulan 1991, p.53-54). Uriel da Costa porte sa critique ensuite sur Moïse, invention des religieux pour leur plus grand profit selon lui. Il se réconcilie avec la communauté juive d’Amsterdam. Mais un second herem a vraisemblablement été prononcé contre lui en 1633. Seul, isolé, ne pouvant se livrer à aucune activité commerciale, il tente une nouvelle conciliation. Elle lui est accordée moyennant une rétractation de ses thèses et un châtiment exemplaire : il reçoit 39 coups de fouet (peine exceptionnelle selon Méchoulan 1991, p.56) et les membres de la communauté enjambent son corps. La communauté juive s’unit pour promouvoir l’orthodoxie le 3 avril 1639.
C’est en 1640 qu’Uriel da Costa se serait suicidé. Il laisse une autobiographie intitulé Exemplar vitæ humanæ connue par une source chrétienne (sur lui, cf. Méchoulan 1991, p.41-46). La même année, le Portugal recouvre son indépendance.
En 1644, Michael de Espinoza est en relations d’affaires avec des cryptojuifs installés à Londres (cf. Méchoulan 1991, p.80-81).
En 1648, après la paix de Munster avec l’Espagne, les sept Provinces-Unies néerlandaises proclament leur indépendance.
Durant l’année scolaire 1649-1650, Michael de Espinoza est l’un des trois parnassim (parnas au singulier, c’est-à-dire dirigeant donc ayant une certaine richesse) du Mahamad (terme hébreu pour désigner le comité directeur de la communauté juive) d’Amsterdam (cf. Méchoulan 1991, p.118). Il fait partie des dédicataires de l’ouvrage de Menasseh Ben Israël, Esperanza de Israel (1650) Dans cet ouvrage, tout en réfutant un des signes supposés de l’arrivée du Messie, à savoir que les Indiens d’Amérique sont les descendants des tribus perdues d’Israël, l’auteur soutient que temps de la Rédemption est proche. L’issue de la guerre civile anglaise qui a commencé en 1640, à savoir l’exécution du roi Charles 1er (1600-1649) le 30 janvier 1649 après un procès devant le Parlement qui le déclara coupable de haute trahison, fait partie à cette époque de ces signes supposés (cf. Méchoulan 1991, p.117).
Vers 1652 au plus tôt, Spinoza apprend le latin ou en approfondit sa connaissance et apprend un peu de grec à l’école du libertin érudit Francis Van den Enden (1602-1674) qui ouvre cette année-là. Il y fait également du théâtre (Scala 2009, p.7, p.51). Ce dernier, né à Anvers, a commencé à étudier chez les augustins, puis chez les jésuites (de 1613 à 1623). Il est définitivement chassé de l’ordre en 1633. Il arrive à Amsterdam en 1645 (cf. Marc Bedjaï « Pour un État populaire ou une utopie subversive » in Amsterdam XVII° siècle, p.195-198). C’est un disciple de Pierre Gassendi (1592-1655), philosophe épicurien, chrétien, critique de Descartes et favorable à Galilée (1564-1642). On considère parfois que Van den Enden est devenu un esprit libre (cf. Rizk 2012, p.11). Spinoza a pu y apprendre des éléments de philosophie et de sciences cartésiennes, mathématiques et physiques. On prétend en suivant un de ses biographes, Jean Colerus (1647-1707), pasteur luthérien, qu’il serait tombé amoureux de la fille de son professeur, Clara Maria. Elle lui enseignait aussi le latin en l’absence de son père. Il voulait l’épouser. Elle épousera un autre élève de son maître qui se convertira au catholicisme pour elle. Miriam Spinoza, la plus jeune des sœurs de Spinoza, née du troisième mariage de son père, meurt.
En octobre 1653, la troisième femme de son père meurt.
En mars 1654, son père meurt. Spinoza dirige la maison de commerce avec son frère. Ils vendent de l’huile et des fruits secs venant d’Espagne ou des Canaries. La situation de l’entreprise est difficile (cf. Méchoulan 1991, p.76).
Vers 1655, il fréquente des réunions de Juifs libéraux appelées tertulias, c’est-à-dire réunions d’amis. Il fait la connaissance du cryptojuif ou marrane Juan de Prado (ou Daniel selon le prénom juif qu’il s’est donné) qui venait d’Espagne. Celui-ci professait des thèses opposées à la religion juive (comme au christianisme d’ailleurs) : la négation du caractère divin de l’Écriture, la négation de la Providence divine, la négation de l’immortalité de l’âme et en conséquence la négation des châtiments et des récompenses après la mort. Les dirigeants de la communauté juive lui demandent de faire amende honorable. Il le fait sans aucune sincérité selon certains (par exemple Méchoulan 1991, p.139). Le jeune Spinoza est soupçonné d’avoir également des pensées peu orthodoxes. Il fait un don de six florins inscrit dans le livre des offrandes, preuve qu’il s’acquitte de ses obligations.
En 1656, un juif fanatique tente de l’assassiner. Il aurait gardé le manteau avec la trace du couteau toute sa vie. Le 27 juillet, après ou avant cette tentative, Spinoza est excommunié. Un herem accompagné d’une malédiction est prononcée contre lui en portugais (cf. Méchoulan 1991, p.29, p.54-55). Il y est accusé d’« horribles hérésies » et d’ « actes monstrueux » (cf. Méchoulan 1991, p.140). C’est une des deux condamnations à vie connues (Méchoulan 1991, p.54). Sa violence est exceptionnelle (Méchoulan 1991, p.140 et sq.). Il aurait rédigé une Apologie pour justifier sa sortir de la Synagogue en espagnol qu’on n’a pas retrouvée (cf. Révah 1958, p.174). Il apprend la taille des verres optiques. Il gagne un procès contre son frère dans la succession puis lui laissera tout. À la demande des autorités juives, le magistrat d’Amsterdam lui intime l’ordre de quitter Amsterdam. Il s’installe à Ouwerkerk au sud d’Amsterdam.
Après son excommunication, Spinoza étudie peut-être à l’université de Leyde en auditeur libre durant plusieurs années (cf. Révah 1995, p.202).
Les 13 et 27 janvier 1657, Van den Enden fait représenter son Philedonius ou le cœur voluptueux au théâtre d’Amsterdam (le texte en a été récemment retrouvé). Entre temps, le 16 janvier, il donne une représentation publique de La Jeune Fille d’Andros du dramaturge latin Térence (190-159 av. J.-C.). Pendant ce temps-là, le 14 février 1657, c’est au tour de Juan de Prado de subir un herem qui n’interdit pas en ce qui le concerne un retour dans la communauté à la différence de Spinoza. Tout laisse à penser qu’il n’a pas rompu radicalement comme Spinoza avec sa communauté d’origine. La même année Rembrandt aurait peint Spinoza sans le désigner notamment dans son David jouant de la harpe devant Saül. Jan Rieuwertsz (1617-1685) publie la traduction en néerlandais des œuvres de Descartes par Jan Hendrijk Glazemaker (1620-1682), futur traducteur des œuvres de Spinoza. Les 21 et 22 mai, Van den Enden donne avec ses élèves une représentation de L’Eunuque de Térence et une farce en grec. Spinoza y participe.
En janvier 1659, Spinoza et Juan de Prado auraient fait une déclaration d’athéisme – au sens religieux – à deux espagnols, un religieux augustin, Fr. Thomas Solano y Robles et le capitaine Miguel Perez de Maltranilla selon le témoignage de ses derniers (cf. Revah 1995, p.32-33). Ses amis, Louis Meyer (1629-1681) et Johannes Koerbagh (1634-1672) soutiennent leur thèse de médecine à l’Université de Leyde. Spinoza la fréquente peut-être. C’est à cette époque qu’un fanatique juif aurait tenté de poignarder Spinoza (cf. Révah I.-S. « Spinoza et les hérétiques de la communauté judéo-portugaise d’Amsterdam » in Revue de l’histoire des religions, tome 154 n°2, 1958, p.199).
En 1660 ou l’année précédente, il s’installe dans le village de Rinjsburg près de Leyde. Il se retrouve dans un cercle d’études avec des Collégiants, c’est-à-dire des membres de différentes confessions qui prônent un culte intérieur sans dogme et font une place assez large à la raison. Le marchand d’épices Jarig Jelles (~1620-1683), le riche négociant Simon Joosten de Vries (1633/1634-1667), le marchand mennonite Peter Balling ( ?-1664), les médecins Louis Meyer (1629-1681) et Jean Bouwmeester (1630-1680) et le libéral libraire éditeur Jan Rieuwertz (1617-1685) nous sont connus par sa correspondance (cf. Meinsma 1896, p.116-118). Spinoza vit de la taille des verres optiques pour laquelle il est célèbre dans toute l’Europe. Il dessine. Il se serait représenté dans le costume du révolutionnaire napolitain Masaniello (1620-1647). Il expose à ses amis ce qui deviendra le Court traité.
En 1661, Spinoza commence un Traité de la réforme de l’entendement, et de la voie par où le diriger au mieux dans la connaissance des choses (Tractatus de intellectus Emendatione et de via, qua optime in veram rerum cognitionem dirigitur) qui demeurera inachevé et paraîtra après sa mort. En juillet, Henry Oldenburg (1619-1677) lui rend visite à Rijnsburg près de Leyde. On peut penser que c’est Pierre Serrurier ou Petrus Serrarius (1600-1660), un millénariste, qui a permis le contact entre les deux hommes (Meinsma 1896, note 1 p.195). Il écrit à Spinoza en août (Lettre 1, datée du 26 août 1661) en lui rappelant les thèmes de leur conversation. Il l’interroge sur la métaphysique et sur Descartes et Bacon. Il lui signale l’œuvre de Robert Boyle. Spinoza répond à Oldenburg peut-être en septembre (Lettre 2 [septembre 1661]. Il définit Dieu comme substance unique et propose une esquisse de la méthode géométrique de la future Éthique (qui est perdue). Il critique Descartes et Bacon essentiellement sur la notion de volonté libre. À l’automne, il séjourne à Amsterdam. Il rassemble pour ses amis ses idées dans le Court traité. Il fait commerce de la taille des lentilles.
Au début de 1662, le Court Traité est achevé. Il n’est pas publié mais des copies circulent. L’ami de Spinoza, Pieter Balling ( ?-1669), publie La Lumière sur le candélabre. Spinoza commence à rédiger sa philosophie.
En 1663, Henry Oldenburg (1618-1677) devient premier secrétaire de la Royal Society, c’est-à-dire l’Académie royale des sciences du Royaume Uni. Commence une épidémie qui fera 10 000 morts en deux ans. En avril, Spinoza quitte Rijnsburg pour Voorburg qui est près de La Haye, siège du gouvernement. Il habite chez un peintre, Daniel Tydeman. Vivent près de lui l’écrivain Constantin Huygens (1596-1687) et son fils, le physicien, mathématicien, astronome et membre de l’Académie de sciences de Paris, Christian Huygens (1629-1695), un de ses clients pour les lentilles. Il lui reprochait de toujours travailler à la main alors que lui-même avait mis au point un tour pour polir les lentilles. Il écrit :
« Je me souviens toujours des petites lentilles que le juif de Voorburg avait dans ses microscopes, qui étaient étonnamment bien polies, mais pas sur toutes leurs surfaces. » cité par Scala 2009, p.49.
Il fréquente aussi des néo-épicuriens, déistes et libertins : le savant hollandais Isaac Vossius (1618-1689), le libre-penseur français Charles de Saint-Evremond (1614-1703) et le diplomate anglais Sir William Temple (1628-1699). En effet, tous trois étaient à La Haye. Ils font partie des penseurs opposés au christianisme (cf. Jonathan Israël, « La querelle sur Confucius dans les Lumières européennes (1670-1730). On trouve aussi près de lui le calviniste Gabriel de Saint-Glain ou Saint-Glen (~1620-1684), futur traducteur (1678) en français du Traité théologico-politique (sans nom d’auteur et sous les trois titres suivants : La Clé du sanctuaire, Traité des cérémonies superstitieuses des Juifs et Réflexions curieuses d’un esprit désintéressé) pour lequel il fut aidé du philosophe lui-même. À l’automne, il publie RENATI DES CARTES Principiorum Philosophiæ Pars I & II, more geometrico demonstratae Accesserunt ejusdem COGITATA METAPHYSICA, In quibus difficiliores, quaetam in partes Metaphysices generali, quam speciali occurunt, quaestiones breviter explicantur (Parties I & 2 des Principes de la Philosophie de René Descartes, démontrées à la manière géométrique auxquelles sont ajoutées des Pensées métaphysiques dans lesquelles les questions les plus difficiles qui se rencontrent tant dans la partie générale que dans la partie spéciale de la métaphysique sont brièvement expliquées) grâce au financement de Jarig Jelles. Le livre est destiné à un disciple, Johannes Cæesarius. L’analyse de l’ouvrage de Descartes n’est rien d’autre que le cours de philosophie que Spinoza lui a donné, cours qui ne reflète en rien sa propre philosophie comme il l’explique dans une lettre à Simon de Vries (lettre 9, Spinoza, Correspondance, p.84) car il se méfie du jeune homme. Ce sera le seul livre publié par Spinoza sous son nom. La préface de Louis Meyer permet de savoir que l’exposé de Spinoza se veut fidèle mais n’est pas celui d’un disciple. Il rencontre Jean de Witt (1625-1672), le Grand Pensionnaire des Provinces-Unies depuis 1653, homme fort de la République avec son frère, Cornelis de Witt (1623-1672). Plus précisément, le titre de grand pensionnaire était décerné au pensionnaire de la province de Hollande qui avait la prééminence sur les six autres provinces : la province de Zélande, la province d’Overijssel, la province de Frise, Groningue, la province de Gueldre, la province d’Utrecht, ancienne seigneurie. Spinoza recevra de Jean de Witt une pension. Au printemps, Spinoza séjourne à Amsterdam.
En 1664, son ami Pieter Balling perd son fils, mort de la peste et meurt lui-même de la même maladie. Spinoza se met à l’abri de l’épidémie chez Simon Joosten De Vries dans son domaine agricole près du village de Schiedam à partir de décembre. La traduction en néerlandais des Principia paraît dans une traduction de Pieter Balling. Elle est financée par Jarig Jelles.
En février 1665, Spinoza quitte son refuge contre la peste. Le 21 janvier, un jour de jeûne et de prière est décidé par les autorités pour conjurer la pestilence et la colère de Dieu pendant l’épidémie qui sévit encore. De fin mars à avril, Spinoza séjourne à Amsterdam. Il a commencé à travailler à son Traité théologico-politique (TTP) comme le montre une lettre qu’il reçoit d’Oldenburg (Lettre 29 ; cf. Laux Henri, « Le Traité théologico-politique dans la correspondance de Spinoza », Revue de métaphysique et de morale, 2004/1 n° 41) Il y répond en indiquant clairement qu’il travaille au TTP (cf. Lettre 30 à Oldenburg daté du 7 octobre, cf. Spinoza, Correspondance, p.202-203). Oldenburg lui demande dans sa lettre datée du 5 décembre (lettre 33) ce qu’il pense du bruit selon lequel les Juifs vont bientôt retrouver la Terre promise, signe de l’arrivée du Messie en qui la croyance messianiste était forte à ce moment, ce qui n’émeut pas Spinoza (cf. Méchoulan 1991, p.123). En juin, Spinoza donne à Bouwmeester la troisième partie de la Philosophie. La population de Voorburg se querelle pour remplacer le pasteur du village. Spinoza est dénoncé parce qu’il est né de parents juifs et qu’il serait athée par les calvinistes orthodoxes. À l’automne, il délaisse la rédaction de la Philosophie pour celle du Traité théologico-politique.
Le 31 juillet 1667 le traité de Breda met fin à la deuxième guerre anglo-néerlandaise. Le 26 septembre, Simon de Vries meurt. Sa sœur assure une rente à Spinoza de 500 florins. Il la fait réduire à 300 florins (le salaire annuel d’un ouvrier spécialisé est d’environ 150 florins à cette époque).
En 1668, Spinoza est avancé dans la rédaction de son Traité théologico-politique. Johannes Koerbagh, puis son frère, Adriaan Koerbagh (1632-1669) sont emprisonnés. Ils sont interrogés sur leur lien avec Abraham Theodori Van Berckel (1639-1686), traducteur en 1667 en néerlandais du Léviathan de Hobbes, Van den Enden, le socinien Jan Knol ( ?-1672) et … Spinoza. Le premier Koerbagh est libéré. Le second est accusé à cause de son ouvrage La lumière dans les ténèbres (édité au XX° siècle après avoir été trouvé dans les archives judiciaires) qui critique la religion chrétienne. Interrogé, il est sommé de dénoncer Spinoza comme son inspirateur, ce qu’il refuse de faire. Il est condamné pour blasphème à dix ans de prison le 27 juillet.
Le 15 octobre 1669, Adriaan Koerbagh meurt en prison. À la fin de l’année (ou au début de la suivante) Saint-Evremond rend visite à Spinoza. Spinoza a peut-être déjà quitté Voorburg pour La Haye où il s’installe chez Johanna van Dobben, la veuve de l’avocat Willem Van der Werve.
Vraisemblablement en avril 1670, Spinoza publie sans nom d’auteur, en latin avec la fausse mention d’une édition à Hambourg alors qu’il est édité à Amsterdam son Traité théologico-politique contenant quelques dissertations quelques dissertation où il est montré que la liberté de philosopher peut être accordée non seulement pour la piété, et pour la paix de la république : mais qu’elle ne peut être supprimée sans qu’en même temps soient supprimées la paix de la république et la piété elle-même (Tractatus Theologico-politicus continens Dissertationes aliquot, quibus ostenditur libertatem philosophandi non tantum salva pietate, & reipublicae pace posse concedi : sed eandem nisi cum pace republicae, ipsaque pietate tolli non posse). Peut-être que Jarig Jelles a aidé à la publication. L’ouvrage propose notamment une critique historique et philologique de la Bible, essentiellement de l’Ancien Testament, qui fait scandale jusqu’à nos jours. On l’a ainsi accusé d’être antisémite. Du côté politique, il montre que la démocratie est le régime le plus naturel, ce qui, dans une Europe où dominent les monarchies de droit divin apparaît comme subversif. De nos jours, il suffit de faire de lui un précurseur du totalitarisme pour le dénoncer. Il est reconnu rapidement comme en étant l’auteur. On dénonce « le Juif athée de Voorburg ». Le professeur de Leibniz (1646-1716), Jacob Thomasius (1622-1684) en rédige une réfutation (cf. Lærke Mogens, « “À la recherche d’un homme égal à Spinoza.” G. W. Leibniz et la Demonstratio evangelica de Pierre-Daniel Huet ») dès le 8 mai. Leibniz quant à lui qui le lit à ce moment-là qualifie le traité de « livre horrible » dans une lettre à Albert Von Holten (cf. Lærke Mogens, « Leibniz, la censure et la libre pensée », Archives de Philosophie, 2007/2 Tome 70). Ironiquement, la même année paraît la première édition posthume des Pensées de Pascal (1623-1662) qui défend la « vérité » du christianisme dans son interprétation janséniste. Elle n’aura guère de succès auprès des catholiques proche de la papauté, des différents protestants, etc. Spinoza quitte Voorburg pour La Haye où il loge chez le peintre Hendrick Van der Spyck ( ?-1716), membre du consistoire luthérien de La Haye. C’est dans cette congrégation que sera prédicateur le biographe de Spinoza, Johannes Colerus.
Le 24 janvier 1671, dans une lettre à Jacob Osten (Lettre 42) que celui-ci transmet à Spinoza, le théologien protestant Lambert Van Velthuysen (1622-1685) expose le contenu du TTP. Il en conclut que Spinoza enseigne l’athéisme, c’est-à-dire ne croit pas à la religion chrétienne. Il l’accuse de duplicité dans sa façon de démontrer. Spinoza répond en réfutant l’accusation d’athéisme. Il use d’un argument assez étrange. En effet, il écrit :
« Les athées, en effet, ont l’habitude de rechercher les honneurs et les richesses, choses que j’ai toujours méprisées ; tous ceux qui me connaissent le savent bien. » Spinoza, Lettre 43 à Jacob Osten de janvier ou février 1671.
Il considère que son texte ne montre aucune duplicité. Le 17 février 1671, Spinoza, peut-être sur la demande de Jean de Witt, fait arrêter la traduction du Traité théologico-politique en néerlandais (cf. Lettre 44 de Spinoza à Jelles). En novembre, Spinoza propose à Leibniz de lui envoyer le TTP (lettre 46 de Spinoza à Leibniz). Ce dernier se gardera de lui dire vraiment ce qu’il en pense, c’est-à-dire le plus grand mal du point de vue religieux qui est le sien.
En 1672, c’est la guerre entre la France de Louis XIV (1638-1643-1715) et l’Angleterre. La France envahit les Provinces-Unies. Jean de Witt démissionne. Guillaume III d’Orange (1650-1702), futur roi d’Angleterre, prend le pouvoir devenant capitaine général et Stathouder, titre qu’il rétablit. Le 20 août les frères de Witt, Jean et Cornelis, sont assassinés par la foule. Spinoza veut placarder une affiche manuscrite « Ultimi barbarorum ». Van der Spyck l’empêche d’affronter la colère populaire. L’anecdote a été rapportée par Leibniz qui la tenait de Spinoza (cf. Meinsma 1896, p.340).
En 1673, il rejette une offre d’enseigner à l’Académie d’Heidelberg (cf. Lucas, Vie de Spinoza ; cf. Lettre 48 du 30 mars 1673 à Fabritius) que lui avait faite par l’intermédiaire de son conseiller, le docteur en théologie Fabritius, l’Électeur palatin Charles 1er Louis (1617-1680) qui avait la réputation d’être un athée et un libertin. Il rencontre peut-être à Utrecht le prince de Condé (1621-1686) (cf. Lucas, Vie de Spinoza).
En 1674 il se rend à Amsterdam pour y faire publier l’Éthique. Mais les attaques des théologiens et des cartésiens l’en dissuadent (cf. Lettre 68 à Henry Oldenburg). Rentré à La Haye, il commence le Traité politique qu’il n’achèvera pas. Les autorités des Provinces-Unis condamnent officiellement le Traité théologico-politique qui est interdit (cf. Laux Henri, « Le Traité théologico-politique dans la correspondance de Spinoza », Revue de métaphysique et de morale, 2004/1 n° 41, p.45). Sa vente est interdite (cf. Scala 2009, p.91).
Le 21 juin 1675, le consistoire d’Amsterdam demande une enquête sur le bruit qui court, Spinoza va publier un livre. En juillet ou début août il séjourne à Amsterdam. Il vient d’achever l’Éthique démontrée selon l’ordre géométrique et divisée en cinq parties dans lesquelles il s’agit I De Dieu II De la nature et de l’origine de l’esprit III De l’origine et de la nature de l’esprit IV De la servitude humaine ou de la force des affects V De la puissance de l’intellect ou de la liberté humaine (Ethica ordine geometrico demonstrata et in quinque partes distincta in quibus agitur I De Deo II De natura & origine mentis III De origine & natura affectuum IV De servitute humana seu de Affectuum viribus V De potentia intellectus seu de Libertate humana. C’est son grand ouvrage qui expose sa philosophie comme le montre la lettre d’Oldenburg datée du 22 juillet (lettre 61) qui mentionne une lettre de Spinoza datée du 5 juillet qui se réfère à un Traité en cinq parties. Alors qu’il était venu pour trouver un éditeur, il décide de ne pas publier sa grande œuvre comme le montre une lettre à Oldenburg (lettre 68) qui répond à une lettre du précédent adressée à Spinoza daté du 22 juillet (lettre 62). Il commence à ce moment là le Traité politique qui restera inachevé. Sa “dernière” lettre adressée « à un ami au sujet du traité politique » (lettre 84) (OC IV, p.354-355) montre qu’il a rédigé six chapitres sur les onze que nous possédons, le onzième sur la démocratie ou l’État absolu étant inachevé.
En novembre 1676 Leibniz lui rend visite par l’intermédiaire des correspondants allemands de Spinoza, Ehrenfried Walther von Tschirnhaus (1651-1708) et Georg Hermann Schuller (1651-1679). Il le niera ensuite, tant la réputation de Spinoza, athée, immoraliste, est sulfureuse. Le synode de La Haye commande la recherche de l’auteur du Traité théologico-politique. Spinoza est malade. Il interrompt une traduction néerlandaise du Pentateuque (c’est-à-dire des cinq premiers livres de l’Ancien Testament qui forme la Torah pour le judaïsme, à savoir La Genèse, L’exode, Le Lévitique, Le Deutéronome et Les Nombres), une Grammaire hébraïque et un Traité de l’arc-en-ciel.
Spinoza meurt seul dans l’après-midi d’un dimanche le 21 février 1677 dans la maison de Van Der Spyck. Il aurait demandé ce jour-là que son Éthique paraisse sans son nom (cf. Scala 2009, p.92). Un de ses amis, le médecin Louis Meyer arrive et repart immédiatement avec tous les manuscrits pour Amsterdam.
En novembre, sont publiées grâce à un don anonyme les Œuvres posthumes, à savoir l’Éthique, le Traité politique (inachevé), le Traité de la réforme de l’entendement (inachevé), les Lettres et réponses (incomplètes), l’Abrégé de grammaire hébraïque (inachevé).
Un prêtre néerlandais déclarera : « Ci-git Spinoza ; crachez sur sa tombe ! » tant la haine du philosophe fut profonde.

Bibliographie.
Œuvres de Spinoza.
Spinoza, Œuvres, traduction Charles Appuhn (1862-1842), réédité GF Flammarion, 1965.
Volume 1 : Court traité, Traité de la réforme de l’entendement, Principes de la philosophie de Descartes, Pensées métaphysiques. Volume 2 : Traité théologico-politique. Volume 3 : Éthique. Volume 4 : Traité politique, Correspondance.
Spinoza, Œuvres, Gallimard « La Pléiade », 1954.
Spinoza, Œuvres V, Tractatus politicus. Traité politique, texte établi par Omero Proietti, traduction, introduction, notes, glossaires, index et bibliographie par Charles Ramond avec une notice de Pierre-François Moreau et des notes d’Alexandre Matheron, P.U.F. « Épiméthée », mai 2005.
Spinoza, Correspondance, présentation et traduction par Maxime Rovere, GF Flammarion, 2010.

Sur Spinoza.
Biographies contemporaines.
  • Vie de B. de Spinoza, tirée des écrits de ce fameux philosophe et du témoignage de plusieurs personnes dignes de foi, qui l’ont connu particulièrement, par Jean Colerus, ministre de l’Église luthérienne de La Haye parût dans la même ville en 1706 et en français peu après son édition hollandaise.
  • Vie de Spinoza, attribuée au médecin Jean-Maximilien Lucas (1646-1697), un disciple de Spinoza.

Études.
Balibar 1985 : Étienne Balibar, Spinoza et la politique, P.U.F. « Philosophies », 1985.
Brunschvicg 1924 : Léon Brunschvicg (1869-1944), Spinoza et ses contemporains, P.U.F., 1971.
Delbos 1916 : Victor Delbos (1862-1916), Le spinozisme, Vrin.
Deleuze 1968 : Gilles Deleuze (1925-1995), Spinoza et le problème de l’expression, Minuit, 1968.
Deleuze 1981 : Gilles Deleuze, Spinoza philosophie pratique, Minuit, 1981.
Meinsma 1896 : Koenraad Oege Meinsma (1865-1929), Spinoza et son cercle : étude critique historique sur les hétérodoxes hollandais (1896), Vrin, 1983, 2006.
Millet 1986 : Louis Millet, Pour connaître Spinoza, Bordas, 2ème édition, 1986.
Misrahi 1972 : Robert Misrahi, Spinoza, Seghers, 3ème édition 1972.
Misrahi 2005 : Robert Misrahi, Spinoza, Éditions Médicis-Entrelacs, 2005.
Moreau 1977 : Joseph Moreau, Spinoza et le spinozisme, P.U.F. « Que sais-je ? », 2ème édition, 1977.
Révah 1995 : Israël Salvatore Révah (1917-1973), Des marranes à Spinoza – Textes réunis par Henry Méchoulan, Pierre-François Moreau et Carsten Lorenz Wilke, Vrin, 1995.
Rizk 2012 : Hadi Rizk, Spinoza. L’expérience et l’infini, Armand Colin, 2012.
Scala 2009 : André Scala, Spinoza, Perrin, Tempus, 2009, réédition de Spinoza, Les Belles Lettres, « Figures du savoir », 1998.
Zac 1972 : Sylvain Zac, La morale de Spinoza, P.U.F., 1972.

Articles.
Bouveresse Renée, « Une lettre de Spinoza » in Revue Philosophique de Louvain, quatrième série, Tome 76, n°32, 1978. p.427-446.
Israël Jonathan, « La querelle sur Confucius dans les Lumières européennes (1670-1730) » traduit de l’anglais par Frank Lemonde, in Rue Descartes, 2014/2 n° 81, p. 64-83.
Laux Henri, « Le Traité théologico-politique dans la correspondance de Spinoza », Revue de métaphysique et de morale, 2004/1 n° 41, p. 41-57.
Lærke Mogens, « “À la recherche d’un homme égal à Spinoza.” G. W. Leibniz et la Demonstratio evangelica de Pierre-Daniel Huet », Dix-septième siècle, 2006/3 n° 232, p.387-410.
Lærke Mogens, « Leibniz, la censure et la libre pensée », Archives de Philosophie, 2007/2 Tome 70, p. 273-287.
Révah I.-S. « Spinoza et les hérétiques de la communauté judéo-portugaise d’Amsterdam » in Revue de l’histoire des religions, tome 154 n°2, 1958.

Ouvrage généraux.
Amsterdam XVII°. Marchands et philosophes : les bénéfices de la tolérance, sous la direction d’Henry Méchoulan, Autrement, 1993.
Méchoulan 1991 : Henry Méchoulan, Être juif à Amsterdam au temps de Spinoza, Albin Michel, 1991.



lundi 25 mai 2015

Thomas d'Aquin : brève biographie

Thomas d’Aquin (Saint) est né en 1225 à Aquino près de Naples d’une famille aristocratique de Naples.
Contre l’avis de sa famille, il rejoint l’ordre dominicain des frères prêcheurs à 18 ans. Il étudie à Naples où il entend les leçons d’un maître es arts averroïste, le philosophe Pierre d’Irlande (~1200/1210-~1265/1270). À Cologne et à Paris il suit les cours du dominicain Albert le Grand (1193/1206-1280).
En 1256, il devient maître en théologie, il enseigne à Paris, Rome et Naples. D’abord chrétien, il essaye de concilier la religion chrétienne avec la philosophie gréco-arabe, essentiellement celle d’Aristote et de ses commentateurs. On lui doit des Commentaires d’Aristote ; la Somme contre les Gentils et la Somme théologique.
Il meurt en 1274.

Il meurt en 1274.

En 1277, l’évêque de Paris Etienne Tempier condamne 219 thèses, averroistes ou thomistes. 

En 1309, le Chapitre général de l’ordre des prêcheurs prescrit l’enseignement de la Doctrine de Thomas.

En 1323, il est canonisé.

En 1324, diverses thèses thomistes sont retirées de la condamnation d’Etienne Tempier.

En 1567, il devient docteur de l’Église. 

En 1918, le code de droit canonique prescrit l’enseignement de sa philosophie et de sa théologie, (le thomisme) à toutes les écoles de philosophie et de théologie.



dimanche 17 mai 2015

La nature. Texte de Heidegger : son caractère fondamental

Quelles que soient la force et la portée qui sont attribuées au mot de « Nature » aux divers âges de l’histoire occidentale, chaque fois ce mot contient une interprétation de l’étant dans son ensemble – même là où, apparemment, il n’est pris que comme notion antithétique. Dans toutes ces distinctions (Nature-Surnature, Nature-Art, Nature-Histoire, Nature-Esprit) la nature ne prend seulement signification en tant que terme d’opposition, mais c’est elle qui est première, dans la mesure où c’est toujours et d’abord par opposition à la nature que les distinctions sont faites ; par conséquent, ce qui est distingué d’elle reçoit sa détermination à partir d’elle.
Heidegger, « Ce qu’est et comment se détermine la physis » in Questions II.

La nature. Texte de Nieztzsche : l'erreur des stoïciens qui prescrivent de "vivre conformément à la nature"

C’est « conformément à la nature » que vous voulez vivre ! Ô nobles stoïciens, quelle duperie est la vôtre ! Imaginez une organisation telle que la nature, prodigue sans mesure, indifférente sans mesure, sans intentions et sans égards, sans pitié et sans justice, à la fois féconde, et aride, et incertaine, imaginez l’indifférence elle-même érigée en puissance, – comment pourriez-vous vivre conformément à cette indifférence ? Vivre, n’est-ce pas précisément l’aspiration à être différent de la nature ? La vie ne consiste-t-elle pas précisément à vouloir évaluer, préférer, à être injuste, limité, autrement conformé ? Or, en admettant que votre impératif « vivre conformément à la nature » signifiât au fond la même chose que « vivre conformément à la vie » – ne pourriez-vous pas vivre ainsi ? Pourquoi faire un principe de ce que vous êtes vous-mêmes, de ce que vous devez être vous-mêmes ? – De fait, il en est tout autrement : en prétendant lire, avec ravissement, le canon de votre loi dans la nature, vous aspirez à toute autre chose, étonnants comédiens qui vous dupez vous-mêmes ! Votre fierté veut s’imposer à la nature, y faire pénétrer votre morale, votre idéal ; vous demandez que cette nature soit une nature « conforme au Portique » et vous voudriez que toute existence n’existât qu’à votre image – telle une monstrueuse et éternelle glorification du stoïcisme universel ! Malgré tout votre amour de la vérité, vous vous contraignez, avec une persévérance qui va jusqu’à vous hypnotiser, à voir la nature à un point de vue faux, c’est-à-dire stoïque, tellement que vous ne pouvez plus la voir autrement. Et, en fin de compte, quelque orgueil sans limite vous fait encore caresser l’espoir dément de pouvoir tyranniser la nature, parce que vous êtes capables de vous tyranniser vous-mêmes – car le stoïcisme est une tyrannie infligée à soi-même, – comme si le stoïcien n’était pas lui-même un morceau de la nature ?… Mais tout cela est une histoire vieille et éternelle : ce qui arriva jadis avec les stoïciens se produit aujourd’hui encore dès qu’un philosophe commence à croire en lui-même. Il crée toujours le monde à son image, il ne peut pas faire autrement, car la philosophie est cet instinct tyrannique, cette volonté de puissance la plus intellectuelle de toutes, la volonté de « créer le monde », la volonté de la cause première.
Nietzsche, Par delà bien et mal (1886), § 9.


Texte de Diderot sur la nature et l'art

Les productions de l’art seront communes, imparfaites et faibles, tant qu’on ne se proposera pas une imitation plus rigoureuse de la nature. La nature est opiniâtre et lente dans ses opérations. S’agit-il d’éloigner, de rapprocher, d’unir, de diviser, d’amollir, de condenser, de durcir, de liquéfier, de dissoudre, d’assimiler, elle s’avance à son but par les degrés les plus insensibles. L'art, au contraire, se hâte, se fatigue et se relâche. La nature emploie des siècles à préparer grossièrement les métaux : l’art se propose de les perfectionner en un jour. La nature emploie des siècles à former les pierres précieuses, l’art prétend les contrefaire en un moment.
Diderot, De l’interprétation de la nature (1753), XXXVII


samedi 16 mai 2015

Eschyle (525/524-456/255 av. J.-C.), biographie

Vie.
En 534, sous le règne du tyran Pisistrate (~600-561-527 av. J.-C.), aurait eu lieu la première représentation tragique aux Grandes Dionysies à Athènes (cf. Jacqueline De Romilly 1980, p. 65 ; Meier 2004, p. 60, p. 70 ; Vernant/Vidal-Naquet 1986, p. 17). Cette fête religieuse se tenait à la fin du mois de mars sur les flancs de l’Acropole. Cette innovation par rapport au chœur de dithyrambe aurait été l’œuvre de Thespis (~580- ?), le créateur de la tragédie (cf. Plutarque, Vie de Solon, LX ; Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, III, 56), personnage peut-être légendaire (Vidal-Naquet 1972, p. 92, p. 93). Les Grecs croyaient en son existence comme le montre la mention de ses danses dans Les Guêpes d’Aristophane (~445-~386 av. J.-C.) ou le dialogue que lui fait tenir Plutarque avec Solon (cf. Plutarque, Solon, 40 ; Vernant 1973, p. 17 ; Vidal-Naquet 2002, p. 14-15) où le législateur critique un spectacle mensonger et corrupteur. Thespis aurait introduit un premier acteur dialoguant avec le chœur. Pisistrate, quant à lui, régnait depuis 561 environ où il avait accédé au pouvoir grâce au peuple en profitant des conflits opposant les grandes familles aristocratiques (cf. Mossé 1971, p. 20 et sq. ; Poursat 1995, p. 148). Sa tyrannie (ou royauté), entrecoupée de deux exils, passe pour avoir été assez bienveillante (cf. Mossé 1971, p. 22).
Eschyle, fils d’Euphorion (expression qu’on trouve sous la plume d’Hérodote, Histoires, II Euterpe, 156), naît à Éleusis, sur le territoire de la cité d’Athènes en 525/524 pendant la tyrannie des fils de Pisistrate, Hippias ( ?-490 av. J.-C.) et Hipparque ( ?-514 av. J.-C.). Peut-être que sa famille était noble (contra Saïd 1997, p. 135). On lui attribue deux frères, Cynégire et Ameinias (ou Aminias), et une sœur dont les enfants furent des poètes tragiques. Lui-même eut deux fils, Euphorion – comme le père d’Eschyle – et Euaion (ou Eubion ou Evéon ou encore Bion selon Victor Hugo dans son William Shakespeare qui suit un des noms donnés par le court article que Suidas – l’auteur présumé de l’encyclopédie intitulé Souda du ix° siècle – a consacré à Eschyle), qui devinrent des poètes tragiques. Il a dû apprendre à lire et à écrire. Mais il a dû également s’initier au théâtre s’il est vrai que même le génie a besoin de savoir-faire.
Concernant sa formation, nous sommes dans une certaine ignorance. Quant à sa vocation, les anciens avaient une explication simple que nous a donné Pausanias (~115-~180) dans sa Description de la Grèce : « Eschyle disait qu’enfant, il s’était endormi dans la campagne alors qu’il surveillait des vignes. Dionysos lui apparut et lui ordonna de composer une tragédie. Aussitôt éveillé – comme il voulait obéir – il s’y essaya, et la composa sans difficulté. » (I, XXI, 2 ; cf. Palomar Perez 1988, p.66)
A-t-il été initié aux mystères d’Éleusis ? On l’infère d’un passage des Grenouilles (406/405 av. J.-C.) d’Aristophane (v.886 sq.). Il fut plus tard accusé d’avoir dévoilé une partie des dits mystères dans une de ses tragédies (laquelle ?). Or, il se défendit en prétendant ne pas les connaître au témoignage d’Aristote (384-322 av. J.-C., Éthique à Nicomaque, livre III, chapitre 2, 1111a9). Il est donc permis de faire avec Paul Mazon, dans l’introduction de son édition des œuvres d’Eschyle, l’hypothèse qu’il n’y a pas été initié.
En 522, Darios 1er (~550-522-486 av. J.-C.), qui appartenait peut-être à une branche de la famille régnante, devient roi des Perses après une conjuration qui écarta Bardiya ( ?-522 av. J.-C.), fils de Cyrus II le grand ( ?-559-529 av. J.-C.), fondateur de l’empire perse, qui l’avait écarté au profit de son cadet, Cambyse II ( ?-529-522 av. J.-C.). Il épouse Atossa, une des filles de Cyrus.
En 514, Hipparque est assassiné par Aristogiton, un aristocrate, et son jeune amant Harmodios pour une sombre affaire d’honneur. Ils sont tués à leur tour. Hippias règne seul.
En 510, Hippias est chassé d’Athènes avec l’aide des Spartiates commandés par le roi Cléomène 1er ( ?-520-488). Il se réfugie chez les Perses qu’il conseille. Preuve d’une perméabilité entre les Grecs et les Barbares. La tyrannie des Pisistratides prend fin. S’opposent deux hommes, Isagoras ( ?- ?) soutenu par les Spartiates et Clisthène ( ?- ?), fils de Mégaclès.
En 508, Isagoras est archonte. Sa volonté d’instaurer un régime oligarchique et l’intervention de Sparte sont contestés. Clisthène finit par trouver dans le peuple (grec, δῆμος, démos) un soutien décisif contre les oligarques.
En 508, Clisthène donne ses institutions au nouveau régime : la démocratie ou plutôt l’isonomie comme il est préférable de le nommer. Ce régime n’était pas tout à fait nouveau puisque les cités de Corinthe et d’Argos l’avaient adopté (Meier 2004, p. 17). Il résidait dans le partage du pouvoir entre une aristocratie qui conservait son pouvoir d’initiative et un peuple, notamment les couches moyennes, qui participait à la vie politique. L’isonomie se distingue de la démocratie au sens propre en ce que ce n’est pas le peuple qui exerce le pouvoir (cf. Meier 2004, p. 129). Des institutions anciennes, Clisthène conserve :
-          Les quatre classes censitaires. À savoir les pentacosiomédimnes (revenu d’au moins 500 médimnes de grains, le médimne valant un demi-hectolitre environ), les hippeis ou chevaliers (revenu d’au moins 300 médimnes), les zeugites (revenu d’au moins 200 médimnes) et les thètes (revenu inférieur au 200 médimnes).
-          L’archontat. Il regroupait neuf magistrats, à savoir, l’archonte éponyme, c’est-à-dire qui donne son nom à l’année, le polémarque, chef des armées et le roi dont la fonction n’était que religieuse et les six thesmothètes qui avaient des fonctions législatives – ils proposaient des réformes législatives – et judiciaires – ils présidaient les jurys (cf. Fustel de Coulanges (1830-1899), La cité antique, 1864).
-          L’Aréopage. Il regroupait les archontes sortis de charge qui siégeaient jusqu’à la fin de leur vie. L’Aréopage se réunissait sur la colline d’Arès (= le Dieu de la guerre), proche de l’Acropole.
Clisthène change nombre d’institutions. Il fait entrer de nouveaux citoyens dans le corps civique, peut-être des étrangers, voire des esclaves selon un passage difficile d’Aristote dans sa Politique (livre III, 1275 b).
Il commence par remplacer les tribus par une entité locale à laquelle il donne une fonction politique : le dème. Dorénavant, chaque athénien sera nommé d’après son dème et non plus d’après son père (Mossé 1984, p. 153) – du moins officiellement. Les dèmes ont des tailles très variables. On peut admettre qu’ils étaient au nombre de 100 (cf. Lévy 1995, p. 200). Plusieurs dèmes constituent une trittye. Le territoire d’Athènes est découpé en trois zones, l’astu, c’est-à-dire la ville, la zone urbanisée et les ports du Pirée et de Phalère ; la mésogée, c’est-à-dire la zone du milieu et la paralie qui regroupe les régions de la côte. Chaque région a dix trittyes. Avec une trittye de chaque zone, Clisthène crée dix tribus. Les quatre tribus traditionnelles n’ont plus que des attributions religieuses.
Le pouvoir est désormais détenu par l’Ecclésia ou Ekklesia (ἐκκλησία, l’assemblée du peuple), composée des citoyens mâles. Elle a le pouvoir de déclarer la guerre, d’infliger des amendes, de condamner à mort. Elle est parfois un tribunal dans les affaires de haute trahison (eisangélie). Elle se réunit quatre fois par prytanie (donc quarante fois par an). Le vote a lieu en principe à main levée (sauf plus tard pour certains cas comme l’ostracisme).
L’Héliée est le tribunal populaire. Il a 6000 membres, soit 600 par tribus. Regroupés par section, ils siègent en fonction de l’importance du procès au nombre de 201, 501, 1001, 1501 (ou 200, 500, 1000, 1500).
La Boulê (Βουλή, conseil) est formée de cinq cents bouleutes, cinquante par tribu qui sont tirés au sort. Elle examine toutes les propositions des citoyens avant qu’elles soient soumises au vote de l’ecclésia. Elle s’occupe des affaires courantes et assure la permanence du pouvoir : c’est la prytanie qu’exercent cinquante bouleutes d’une tribu qui sont les prytanes pendant un mois (l’année étant divisée en dix mois). Chaque jour un président, l’épistate est tiré au sort.
L’archontat est réformé. Les archontes sont élus à raison d’un par tribu. Aussi un dixième apparaît-il, le secrétaire des thesmothètes. L’archonte éponyme est conservé. Entre autres fonctions, il désigne les chorèges, c’est-à-dire les riches citoyens chargés de financer les pièces de théâtres et organise les processions des grandes Dionysies qui ont lieu dans la deuxième quinzaine de mars (cf. Meier 2004, p. 69 et sq.) durant six jours (Mossé 1971, p. 55) voire sept (Dupont 2015, p. 37). La fête a lieu en l’honneur de Dionysos Eleuthéreus dont le sanctuaire se trouve au pied de l’Acropole (Dupont 2015, p. 37). Après un premier jour consacré aux processions, les pièces de théâtre étaient représentées durant cinq jours. Le premier jour voyait les concours de dithyrambes. Les trois suivants étaient représentés trois tragédies et un drame satyrique par jour, œuvre d’un poète. Les thèmes des drames satyriques sont les mêmes que ceux des tragédies. La différence tient au chœur de satyres, personnages dionysiaques, donc adeptes du vin et des plaisirs d’Aphrodite. On peut estimer à six à sept heures la durée de la représentation de l’œuvre d’un poète tragique. Le dernier jour, cinq comédies étaient représentées (cf. Lévy 1995, p. 258 ; Dupont 2015, p. 37).
Sur les gradins du théâtre de Dionysos à Athènes, entre 17 000 et 30 000 spectateurs. Dans Le Banquet (175e) de Platon, Socrate loue Agathon pour sa sagesse car il a triomphé devant plus de 30 000 Grecs. Dans l’Ion, Socrate parle au rhapsode de 20 000 spectateurs. Peuvent assister à la représentation les citoyens, les esclaves avec leurs maîtres, les métèques – c’est-à-dire les étrangers résidant à Athènes –, les étrangers, voire les femmes.
Les acteurs se trouvent sur la skènè ou scène, en bois à l’époque d’Eschyle (cf. Dupont 2015, p. 38). Le chœur est situé, plus bas, sur l’orchestra (orkhestra, ὀρχήστρα du verbe orkheîsthai, danser) ou orchestre. Il est de forme circulaire avec en son centre l’autel rond de Dionysos. On nomme parodos chaque côté de l’orchestra où entrait le chœur.
Le chœur comprend 14 chanteurs et un chef de chœur, le coryphée. Ce sont des citoyens ordinaires. L’instrument qui les accompagne est l’aulos, une sorte de flute. En effet, le chœur, pour l’essentiel chante, psalmodie et danse. Il utilise à cet effet une métrique particulière. Le coryphée peut, seul, donner la réplique aux acteurs. Parfois, un acteur chantait en solo. Aucun membre du chœur n’a de masque.
Il n’y aurait eu qu’un acteur à l’origine selon Aristote (Poétique, chapitre 4, 1449a) et Eschyle aurait introduit le second acteur.
« Le premier, Eschyle porta d’un à deux le nombre des acteurs ; il diminua la partie du chœur et donna le premier rôle au dialogue. » Aristote, La Poétique, chapitre 4, 1449a16-20, traduction Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Seuil, 1980.
Sophocle aurait introduit un troisième acteur. L’acteur qui peut tenir plusieurs rôles est nécessairement un homme. Les acteurs sont rémunérés. La métrique dans laquelle il s’exprime est proche de la prose. Il porte un masque, des cothurnes, c’est-à-dire des souliers qui le rehaussent. Son costume doit servir à le faire reconnaître.
Les thètes restent exclus des charges en raison de leur pauvreté.
L’armée est toujours commandée par l’archonte polémarque. Elle est composée des citoyens qui peuvent payer leur équipement, c’est-à-dire ceux des trois premières classes censitaires.
Clisthène disparaît peu après sa réforme. Tout se passe comme si ses ennemis avaient réussi à faire disparaître ses traces (Sur Clisthène : Mossé 1971, p. 25-30 ; Mossé 1984, p. 152-156 ; Amouretti/Ruzé 1978, p. 110-115).
D’autres réformes eurent lieu après lui.
C’est en 501/500 que sont créés les dix stratèges élus et que l’armée est répartie en dix corps (Cabanes 2008, p. 168). En outre, les bouleutes prêtent désormais serment à leur entrée en charge comme gardiens des lois de la cité (Mossé 1971, p. 30).
C’est après la réforme de Clisthène que le théâtre quitte l’Agora pour s’installer au pied de l’Acropole. À peu près au même moment, l’assemblée quitte également l’Agora pour s’installer sur la Pnyx (Loraux 1999, p. 29 et sq.).
En 500 débute la révolte des cités grecques d’Ionie (actuelle Turquie) contre la domination perse. Les Athéniens la soutiennent. On peut les considérer comme les agresseurs des Perses (cf. Meier 2004, p.97). Cette année-là ou plus tard, Eschyle, le « père de la tragédie » selon Philostrate (~170-249, Vie d’Appolonios de Tyane, VII, 11, 9-10), fait ses débuts au théâtre. On peut le concevoir comme une sorte de réalisateur dans la mesure où il compose un texte mais où il est aussi un chorodidaskalos (χοροδιδάσκαλος), c’est-à-dire qu’il dirige aussi le chœur (Dupont 2015, p.7). La tradition veut qu’il ait toujours composé ivre, c’est-à-dire inspiré par le Dieu Dionysos (cf. Palomar Perez 1988, p. 67). En outre, il aurait été acteur dans ses pièces (cf. Palomar Perez 1988, p. 73-75).
En 495 (peut-être en 496) naît Sophocle (~495-~405)
En 494, Milet est prise par les Perses après la défaite des Ioniens à la bataille de Ladé (Cabanes 2008, p. 160). Ses habitants sont massacrés ou vendus en esclavage. Les Athéniens qui avaient soutenu le soulèvement de l’Ionie ne firent finalement rien.
En 493/492, Thémistocle (~528-462) qui est archonte, attribue un chœur à Phrynichos (~540-~470 av. J.-C.). Il donne à Athènes une tragédie sur l’histoire récente : la Prise de Milet. La représentation fait fondre en larmes le public. Ce succès constitue une attaque contre le gouvernement du moment qui règne depuis 498 et qui est favorable à Sparte. Le poète est condamné à une amende de mille drachmes selon le témoignage d’Hérodote (~484-420 av. J.-C.) (« Le théâtre fondit en larmes à la représentation de la tragédie de Phrynikos, dont le sujet était la prise de cette ville ; et même ils condamnèrent ce poète à une amende de mille drachmes, parce qu’il leur avait rappelé la mémoire de leurs malheurs domestiques : de plus, ils défendirent à qui que ce fût de jouer désormais cette pièce. » Hérodote, Histoires, VI, 21) et celui de Strabon (~58 av. J.-C.-~25 ap. J.-C.) qui s’appuie sur une autre source qui n’est peut-être pas indépendante de la première (« À ce propos-là même, Callisthène [historien du iv° siècle av. J.-C.] rappelle comment les Athéniens punirent de 1000 drachmes d’amende le poète tragique Phrynichos, pour avoir fait un drame de la prise de Milet par Darius. » Strabon, Géographie, XIV, 1, 7) (cf. Loraux 1999, note 1 p. 143, p. 67 sq., p. 131). On peut y voir une réplique du gouvernement (Cabanes 2008, p. 161). Cela montre une dimension politique de la tragédie (cf. Vidal-Naquet 2002, p.10-11). Phrynichos introduisit dans les tragédies des personnages féminins … joués par des hommes.
En 492, Darios 1er confie une première expédition punitive à son neveu Mardonios ( ?-479 av. J.-C.), fils de sa sœur. C’est un échec.
En 490, Darios 1er reprend son projet. Les Perses envahissent la Grèce. Certaines cités s’allient à eux. Nouvelle preuve que l’opposition entre les Grecs et les Barbares n’est pas si évidente que cela dans la pratique. L’ancien tyran Hippias se fait le guide des Perses. Eschyle prend part à la bataille décisive de Marathon en septembre, avec un de ses frères, Cynégire, qui y trouva la mort selon une interprétation d’Hérodote qui ne le nomme pas comme frère d’Eschyle (Histoires, VI, 114 ; cf. Dupont 2015, p.12). Il participe à la victoire de la coalition grecque constituée des seuls Athéniens et Platéens commandée par le stratège athénien Miltiade (540-489 av. J.-C.). Le contingent spartiate arrive en retard car les Spartiates étaient occupés à célébrer une fête (cf. Meier 2004, p. 18). Les Perses avaient envoyé la flotte pour prendre Athènes. Après la bataille, les hoplites athéniens rentrent dans leur cité à marche forcée. Ils arrivent avant la flotte perse qui renonce. C’est la fin de la première guerre médique. Si Darios 1er ne reprit pas les hostilités, ce n’est pas par sagesse comme le personnage des Perses d’Eschyle, mais parce qu’une révolte en Egypte l’en empêcha.
À partir de 488/487 l’ecclésia commence à prononcer la peine d’ostracisme contre un citoyen soupçonné de vouloir établir la tyrannie. Peut-être que Clisthène l’avait institué et qu’il n’avait pas été utilisé (cf. Lévy 1995, p. 202). Pour cela, l’ecclésia se réunit sur l’Agora (y compris lorsque l’assemblée migrera vers la Pnyx) chaque année à la sixième prytanie pour examiner à main levée s’il y a matière à prononcer un ostracisme. En cas de réponse positive, l’examen se fait deux mois après. Si au moins six mille votants se décident en mettant un nom sur un tesson de poterie (ostracos), le citoyen part pour un exil de dix ans. Le vote a lieu sans procédure nominative. Il s’agit de débarrasser la cité d’un citoyen qui se montre trop supérieur aux autres (Vernant 1972, p. 124-126). Les archontes sont dorénavant tirés au sort (cf. Meier 2004 p. 71). Ils continuent d’appartenir aux deux premières classes censitaires, les pentacosiomédimnes et les hippeis (cf. Lévy 1995, p. 203).
En 486 commence le règne de Xerxès 1er ou le grand (~519-486-465 av. J.-C.) sur l’empire perse. Avant d’envahir la Grèce, il doit d’abord soumettre l’Egypte et Babylone révoltées.
En 485 naît vraisemblablement Euripide (~485-~406).
En 484, Eschyle remporte sa première victoire au théâtre. Il sera souvent couronné par les Athéniens, preuve que son théâtre rencontrait les goûts de son public.
En 483, les Perses préparent une immense expédition contre la Grèce avec le projet cette fois de la conquérir. Ils peuvent compter sur de nombreuses cités grecques qu’ils dominent et sur Thèbes.
En 483/482 Thémistocle est archonte (cf. Mossé 1971, p. 33). On découvre les riches mines argentifères du Laurion. Thémistocle fait affecter les revenus à la construction de trières, c’est-à-dire de vaisseaux de combat.
En août 480, aux Thermopyles quelques six milles soldats grecs dont 300 Spartiates conduits par leur roi Léonidas 1er (~540-489-480) retardent l’avancée de l’armée perse. Cette armée grecque est défaite suite à la trahison d’un des siens. Les Perses occupent Athènes. Ils détruisent les sanctuaires de l’Acropole. Le 22 (ou 29) septembre, Eschyle prend part à la bataille navale de Salamine dirigée par Thémistocle qui voit la large victoire des Athéniens sur les Perses. On a contesté sa présence au motif qu’il était noble. Ce dernier point étant discutable, la contestation est pour le moins étrange. En outre, à supposer qu’il était hoplite, presque tous les citoyens avaient quitté Athènes. Enfin, des hoplites étaient sur les trières (le refus de la présence d’Eschyle à Salamine se trouve chez Dupont 2015, p. 66, cf. p.42). Toujours est-il que la politique de construction de trières de Thémistocle est gagnante. Au même moment selon Hérodote (Histoires, VIII, 95), Aristide (~550-~468/7 av. J.-C.), dit « le Juste », adversaire politique de Thémistocle, mais qui le seconda dans cette guerre, débarque avec des hoplites dans l’île de Psyttalie et massacrent les Perses qui s’y trouvent. Dans la version d’Eschyle qu’il donne dans Les Perses (v.447 et sq.), les Athéniens tuent en jetant pierres et flèches les Perses avant de les achever à l’arme blanche (cf. sur cette opposition, Vidal-Naquet 1986, p. 111). Dans l’hypothèse où Eschyle n’aurait combattu que comme hoplite, il a pu participer au massacre sur l’île de Psyttalie. Au même moment, le tyran de Syracuse, Gélon ( ?-488-478), remporte une grande victoire contre les Carthaginois à Himère. Les Grecs ont vaincu les Barbares est une des leçons qu’on tire de ces événements.
Au printemps 479, les Perses envahissent à nouveau l’Attique et Athènes. Mais ils sont de nouveau battus sur terre à Platées au mois d’août. Eschyle aurait participé à la bataille (Wartelle 1965, p.477). Il la fait prédire par l’ombre (Εἴδωλον Δαρείου) ou l’âme de Darios 1er dans Les Perses (v.817). Xerxès qui avait fui en Perse avait laissé le commandement à l’armée de terre à son cousin, Mardonios (qui n’apparaît pas dans Les Perses). Il y laissa la vie. Les Grecs détruisent le même jour selon Hérodote les restes de la flotte perse au cap Mycale.
En 478 est fondée la ligue de Délos, une alliance de cités sous la direction d’Athènes. Au début, elle comprend Samos, Chios, Lesbos, Délos, Thasos, Samothrace et les Cyclades, certaines cités de Chalcidique et de Propontide ainsi que Rhodes. Eschyle en cite certaines comme des possessions perses du temps de Darios 1er dans Les Perses (v.860-880) pour célébrer la puissance athénienne. Chaque cité lui verse une contribution dont le but est la lutte contre les Perses. Rapidement, cette contribution se transforme en une sorte de tribut dont Athènes use comme elle l’entend. C’est le début de l’empire athénien.
En 477/476, Phrynichos fait donner une tragédie sur le thème des guerres médiques, Les Phéniciennes, titre relatif au chœur de femmes phéniciennes, dont le chorège était Thémistocle, le vainqueur de Salamine selon Plutarque (~46-~125) dans sa Vie de Thémistocle ([5] (5) ; cf. Romilly 1980, p.68 ; Canfora 1994, p. 185-186 ; Vidal-Naquet 2002, p.18-19 ; Meier 2004, p. 86).
En 472, Les Perses obtiennent le premier prix aux Grandes Dionysies (cf. Meier 2004, p. 104). Cette tragédie était, selon un scholiaste, la seconde pièce après Phinée, et suivie de Glaukos de Potnies avec un Prométhée en drame satirique, trois pièces perdues. Le chorège est Périclès (~495-429 av. J.-C.) (cf. Vidal-Naquet 1986, p. 97). Eschyle se présente ainsi dans le camp des démocrates en ce point de sa carrière (Vidal-Naquet 2002, p. 18-19). C’est la seule tragédie sur un thème historique qui nous soit parvenue. La pièce d’Eschyle rend hommage aux spartiates et tait la trahison au profit des Perses de Thèbes (cf. Vidal-Naquet 2002, p. 21-22). Thémistocle est ostracisé (Meier 2004, p. 105). C’est un pro-spartiate, Cimon (~510-~449 av. J.-C.), le fils du vainqueur de Marathon, Miltiade, qui en est l’instigateur. Or, le premier vers des Perses est démarqué du premier vers des Phéniciennes de Phrynichos (cf. Vidal-Naquet 1986, p. 93 ; Canfora 1994, p. 187). Ce qui peut tendre à prouver qu’Eschyle soutenait Thémistocle (cf. Canfora 1994, p. 187).
En 471 Eschyle est en Grande Grèce (Sicile). Il est invité par le tyran de Syracuse, Hiéron 1er ( ?-478-466 av. J.-C.), successeur de son frère Gélon, qui avait participé à la bataille d’Himère qu’il présentait d’un point de vue idéologique comme une victoire du monde grec contre les barbares. Les Perses y sont joués (cf. Vidal-Naquet 1986, p. 93 ; Mossé 1984, p. 151). Est-ce exactement la même pièce ou une seconde version ? Laquelle alors serait la nôtre ? Questions insolubles, au moins pour l’instant ? Autre question, s’agit-il d’un exile dû à une défaite contre un autre poète ? Rien n’est moins sûr (cf. Dupont 2015, p.13).
En 470 Eschyle voyage à nouveau en Grande Grèce. Il se rend dans la cité d’Etna à l’invitation du tyran de Syracuse, Hiéron, pour l’établissement de son fils, Deinoménès. Hiéron, qui avait fondé cette cité en 476/475, l’a donnée à son fils selon Pindare (518-~438 av. J.-C., Première Pythique) qui y prononce la Première Pythique en l’honneur du tyran (Romilly 1980, p. 67). Il y fait jouer les Etnéennes (ou Etna selon les sources), une pièce perdue, en l’honneur du fils de Hiéron (cf. Mossé 1984, p. 151). On peut dater de cette période son Philoctète qui nous est partiellement connu grâce au sophiste Dion Chrysostome (~30-117) ou Dion de Pruse (cf. Jouan François, « Mensonges d’Ulysse, mensonges d’Homère : une source tragique du Discours troyen de Dion Chrysostome » p. 414).
En 469, sous la direction de Cimon, Athènes et ses alliés sont vainqueurs des Perses à l’Eurymédon.
En 468, Sophocle (~496-~406 av. J.-C.) obtient sa première victoire au théâtre contre Eschyle. On a pu y voir une décision politique car Cimon faisait partie des juges (cf. Canfora 1994, note 3 p. 191).
En 467, la tétralogie thébaine, dont fait partie Les Sept contre Thèbes, est couronnée. Le drame satyrique était intitulé La Sphinx. Le Prométhée enchaîné qu’on ne peut dater paraît postérieur au Sept. À la mort de Hiéron, son frère Thrasybule, élimine son neveu et prend le pouvoir.
En 466, les Syracusains se révoltent, contraignent Thrasybule à l’exil et mettent fin à la tyrannie (cf. Lévy 1995, p. 104). Les Athéniens condamnent par contumace Thémistocle pour haute trahison.
Xerxès meurt en 465.
En 464/463 Les Suppliantes sont représentées. Eschyle gagne le concours devant Sophocle, deuxième et Mésatos troisième d’après un papyrus publié en 1952 (cf. Canfora 1994, p. 195 ; Vidal-Naquet, 1986, p.98, soutient la date de 464 d’après le même document). Longtemps on a cru que c’était la pièce la plus ancienne d’Eschyle. Paul Mazon appuyait cette thèse sur des considérations dramaturgiques. Le chœur y joue un rôle essentiel. Cette “erreur” doit rendre prudent sur une prétendue évolution de la tragédie antique. La pièce paraît être la première d’une trilogie qui aurait comprise Les Egyptiens et Les Danaïdes. Le drame satyrique aurait été Amymone (une des Danaïdes) qui appartient à la même veine légendaire. C’est dans cette pièce que se trouve la plus ancienne conjonction entre les termes “démos” (peuple) et le verbe “kratein” qui signifie “exercer le pouvoir” d’où sortira le terme “démocratie” (v.604 Vidal-Naquet 2002, p.53 ; Mossé 1984, p. 155). En outre, on y trouve une opposition entre deux types d’écritures, la grecque et la barbare que symbolise le papyrus, l’écriture étant une pratique démocratique et la parole une pratique plutôt tyrannique (cf. Pébarthe Christophe, « Les archives de la cité de raison. Démocratie athénienne et pratiques documentaires à l’époque classique », p.110). Du côté de la vie de la cité, Éphialtès ( ?-~461 av. J.-C.), attaque sans succès Cimon en justice. Il attaque également certains membres de l’Aréopage pour corruption et les fait condamner (cf. Meier 2004, p. 108).
En 462, Cimon obtient de l’assemblée d’emmener un fort contingent d’hoplites athéniens pour soutenir les Spartiates en butte à une révolte des hilotes (c’est-à-dire des esclaves) de Messénie suite à un tremblement de terre qui survint en 464. Les hilotes étaient retranchés au mont Ithome. Les Spartiates avaient besoin des Athéniens car ils ne possédaient pas l’art militaire du siège (cf. Meier 2004, p. 108).
En 462/1, Éphialtès, soutenu par Périclès, et en l’absence de Cimon, réduit les pouvoirs de l’Aréopage. Il est dessaisi de certaines fonctions : veiller sur les lois et sur l’État au profit de la Boulê, juger les crimes autres que de sang au profit de l’Héliée notamment. C’est la fondation de la démocratie à proprement parler (cf. Meier 2004, p. 36). Désormais, le peuple exerce bien la plénitude du pouvoir. Le destin d’Athènes dépendra maintenant de ses seules décisions.
En 461, de retour à Athènes, Cimon tente de revenir sur les mesures prises par Éphialtès pour diminuer le pouvoir de l’Aréopage. Non seulement il échoue, mais il est ostracisé. Mais Éphialtès est assassiné par un métèque pour le compte des oligarques (Canfora 1994, p. 193). Athènes s’allie à Argos contre Sparte (cf. Meier 2004, p. 127).
En 458, Eschyle gagne le concours avec l’Orestie (Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides). Dans la troisième pièce, les Érinyes étaient tellement effrayantes qu’il y aurait eu des évanouissements dans le public (cf. De Romilly 2006, p. 71-72). La tradition antique relève même des enfants qui moururent et des fœtus qui avortèrent (d’après La vie d’Eschyle, cf. Wartelle 1965, p.478 ; cf. également Palomar Perez 1988, p. 84). C’est la seule trilogie du théâtre antique qui nous a été conservée entière (cf. De Romilly 2006, p. 9). S’il est incontestable que la pièce se réfère à l’instauration de la véritable démocratie athénienne qui, en enlevant à l’aréopage son pouvoir et en faisant des seules assemblées populaires ou à la Boulê, son émanation, la seule source du pouvoir, il n’en paraît pas moins difficile d’en tirer argument pour faire d’Eschyle un partisan de la démocratie (cf. Vidal-Naquet 2002, p. 23-25). Eschyle se rend de nouveau en Sicile. Périclès fait construire les longs murs qui relient Athènes à son port, le Pirée, et qui longtemps protègeront la cité contre les attaques terrestres.
À la fin de sa vie il a dû faire jouer sa trilogie sur Prométhée dont il nous reste le premier, le Prométhée enchaîné. Βία, Bia (violence) et Κράτος, Kratos (pouvoir) y sont les envoyés du jeune Zeus dont le pouvoir est tyrannique. Malgré de nombreuses remises en cause, il n’y a pas d’arguments décisifs pour rejeter le témoignage de l’Antiquité qui en fait l’auteur (cf. Meier 2004, p. 174-175 ; contra Canfora 1994, p. 208-209).
En 457 les hoplites athéniens sont défaits par les Spartiates à la bataille de Tanagra. Par contre, ils sont vainqueurs de Thèbes et des Béotiens alliés de Sparte à la bataille de d’Œnophyta. L’archontat est ouvert aux zeugites (Mossé 1971, p. 46 ; Lévy 1995, p. 210).
En 456 (ou 455), Eschyle meurt à Géla en Sicile. Une légende veut qu’il ait été tué par un aigle qui prit son crane pour un rocher et y laissa tomber une tortue pour la briser. On la trouve dans La vie d’Eschyle (cf. Wartelle 1965, p.478). Elle est rapportée par le moraliste latin du début de notre ère Valère Maxime dans ses Faits et paroles mémorables (IX, 12) Pline l’ancien (23-79) dans son Histoire naturelle rapporte la même anecdote (X, 3, 2) avec une variante selon laquelle un oracle ayant prédit à Eschyle qu’il mourrait sous la chute d’une maison, il s’en était vainement prémuni en se mettant à l’air libre. La Fontaine (1621-1695) reprendra l’anecdote dans sa fable L’horoscope (Fables, VIII, 12).
Sur sa tombe étaient gravés ces mots :
« Ce mémorial renferme Eschyle fils d’Euphorion, Athénien, mort dans Géla riche en froment. Le Mède à longue chevelure et la baie célèbre de Marathon savent ce que furent sa valeur. » Texte cité par Vidal-Naquet, 1986, p. 98.
Selon Pausanias (Description de l’attique, I.14.5), c’est lui qui l’aurait choisi (cf. Battistini 2010). Se pose le problème de savoir pourquoi il a écarté la victoire de Salamine. Est-ce une ultime défiance à la démocratie s’il est vrai que Marathon est la victoire des hoplites alors que Salamine est celle du peuple ? (cf. Vidal-Naquet 2002, p. 19-21).
En 405 av. J.-C. Aristophane montre dans sa pièce Les Grenouilles, le Dieu Dionysos, descendant aux Enfers pour aller chercher le meilleur des poètes tragiques. Il oppose Eschyle à Euripide. Il donne la victoire à Eschyle et accable Euripide (cf. Vidal-Naquet 1986, p. 91).

Lycurgue (390-324 av. J.-C.) fait voter une loi qui fait élever des statues à Eschyle, Sophocle et Euripide qui deviennent les seuls auteurs qu’on peut jouer à Athènes. Il contribue ainsi à faire d’Eschyle le premier auteur de théâtre (cf. Dupont 2015, p.20-21).

Œuvres.
On estime entre 75 et 90 le nombre de pièces qu’Eschyle a écrites. Il fut 13 fois victorieux au concours de tragédies de son vivant. Il fut également victorieux après sa mort.
Pour chaque concours, l’auteur de tragédie devait proposer quatre pièces. Trois tragédies formant une trilogie et un drame satyrique appartenant au même groupe d’histoires (cf. De Romilly 2006, p. 9). Eschyle était réputé pour ses drames satyriques si on en croit le témoignage de Ménédème (iv-iii° siècle av. J.-C.) cité par Diogène Laërce dont il ne nous reste que des fragments, notamment 68 vers des Diktuoulkoi (« Les Pêcheurs au filet », publié en 1935 puis en 1941 (cf. Canfora 1994, p. 156-157).
Il nous reste sept tragédies complètes d’Eschyle qui furent choisies sous le règne de l’empereur romain Hadrien (76-138) par un érudit anonyme (cf. Dupont 2015, p.25), à savoir Les Perses ; Les Suppliantes qui passait pour la plus ancienne de ses tragédies conservées (comme on le voit dans l’édition de Paul Mazon, tome 1, p.3 ; contra De Romilly 2011, note 1 p. 56) ; Les Sept contre Thèbes ; Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides qui composent L’Orestie et le Prométhée enchaîné qui est, à tort, d’attribution discutée. Il aurait été la première pièce d’une trilogie dont les deux pièces suivantes s’intituleraient Prométhée délivré et Prométhée porte-feu.
Des pièces dont il nous reste des fragments, on peut citer une trilogie sur Ajax, Le jugement des armes, Les femmes de Thrace, Les femmes de Salamine ; la « Lycurgie » : Les Edônes, Les Bassarai (« Bacchantes de Thrace »), Les jeunes hommes avec un drame satyrique, Lycurgue. Des papyrus ont livré des fragments de tragédies, Niobé, Les Myrmidons, première pièce de la Trilogie d’Achille et les Diktuoulkoi, drame satyrique de la Trilogie de Persée (cf. Canfora 1994, p. 209).
Selon Porphyre, les Delphiens auraient demandé à Eschyle de donner un péan. Il aurait refusé parce que celui de Tynnichos était parfait (Traité de l’abstinence, II, 18 ; Sur Tynnichos, Platon, Ion, 534d).

Bibliographie.

Éditions d’Eschyle.
Eschyle, Les Suppliantes – Les Perses – Les Sept contre Thèbes – Prométhée enchaîné, …, texte établi et traduit par Paul Mazon, Les Belles Lettres, 1925.
Eschyle, AgamemnonLes ChoéphoresLes Euménides, texte établi et traduit par Paul Mazon, Les belles lettres, 1925.
Eschyle, Théâtre, traduction Émile Chambry, GF-Flammarion, 1964.
Eschyle, Tragédies, traduction Paul Mazon, préface de Pierre Vidal-Naquet, Gallimard, Folio, 1973.
Eschyle, Les Perses, présentation par Danielle Sonnier, traduction par Danelle Sonnier & Boris Donné, GF-Flammarion, 2000.
Eschyle, Les Perses, bilingue, texte établi et traduit par Paul Mazon, introduction et notes par Philippe Brunet, Les Belles Lettres, 2000.
Eschyle, L’Orestie, traduction et présentation de Daniel Loayza, GF-Flammarion, 2001.

Ouvrages divers.
Dictionnaire de l’Antiquité de l’université d’Oxford, Robert Laffont, Bouquins, 1993.
Encyclopédie Universalis.
Amouretti (Marie-Claire) et Ruzé (Françoise), Le monde grec antique, Hachette, 1978.
Cabanes (Pierre), Introduction à l’histoire de l’Antiquité, Armand Colin, 2008.
Canfora (Luciano), Histoire de la littérature grecque d’Homère à Aristote (1986, 1989), traduit de l’italien par Denise Fougous, Éd. Dejonquières, 1994.
De Romilly (Jacqueline), Précis de littérature grecque, P.U.F., 1980.
De Romilly (Jacqueline), raconte l’Orestie d’Eschyle, Bayard, 2006.
De Romilly (Jacqueline), La crainte et l’angoisse dans le théâtre d’Eschyle (1958), Les Belles Lettres, 2ème tirage, 2011.
Dupont (Florence), Le théâtre d’Eschyle, Ides et calendes, Lausanne, 2015.
Festugière (André-Jean), De l’essence de la tragédie grecque, Aubier Montaigne, 1969.
Lévy (Edmond), La Grèce au v° siècle de Clisthène à Socrate, Seuil, Points Histoire, 1995.
Loraux Nicole, La voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Gallimard, 1999.
Meier (Christian), De la tragédie grecque comme art politique (1988), traduit de l’allemand par Marielle Carlier, Les Belles Lettres, 2004.
Mossé (Claude), Histoire d’une démocratie : Athènes. Des origines à la conquête macédonienne, Seuil, Points Histoire, 1971.
Mossé (Claude), La Grèce archaïque d’Homère à Eschyle, Seuil, Points Histoire, 1984.
Palomar Perez (Natalia), « La figure du poète tragique dans la Grèce ancienne », traduit de l’espagnol par Dominique Blanc, chapitre II de l’ouvrage collectif Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne, sous la direction de Nicole Loraux et Carles Miralles, Belin, 1988.
Poursat (Jean-Claude), La Grèce préclassique des origines à la fin du vi° siècle, Seuil, Points Histoire, 1995.
Saïd (Suzanne), Trédé (Monique) et Le Boulluec (Alain), Histoire de la littérature grecque, P.U.F., 1997.
Trédé-Boulmer (Monique) et Saïd (Suzanne), La littérature grecque d’Homère à Aristote, P.U.F., « Que sais-je ? », 2ème éd. 1992.
Vernant (Jean-Pierre) [1914-2007] et Vidal-Naquet (Pierre) [1930-2006], Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Maspero, 1972.
Vernant (Jean-Pierre) et Vidal-Naquet (Pierre), Mythe et tragédie en Grèce ancienne II, Maspero, 1986.
Vidal-Naquet (Pierre), Le miroir brisé. Tragédie athénienne et politique, Les Belles Lettres, 2002.

Articles
Alaux (Jean), « Mimêsis et katharsis dans Les Perses », Les Belles lettres | L'information littéraire  2001/1 - Vol. 53 pages 3 à 13
Alaux (Jean), « Catharsis et réflexivité tragiques », in Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque, numéro 6, 2002, p.201-225.
Battistini Olivier, « Les Trières de Salamine », Dialogues d’histoire ancienne, 2010/Supplément 4.1 S4.1, p. 77-86. (http://www.cairn.info/revue-dialogues-d-histoire-ancienne-2010-Supplément 4.1-page-77.htm)
Pébarthe Christophe, « Les archives de la cité de raison. Démocratie athénienne et pratiques documentaires à l’époque classique », in Michele Faraguna (edited by), « Archives and archival documents in ancient societies: Legal documents in ancient societies IV, Trieste 30 September - 1 October 2011 », Trieste, EUT Edizioni Università di Trieste, 2013, pp. 107-125 (http://hdl.handle.net/10077/8672)
Wartelle (Abbé André), « La Vie d’Eschyle », in Bulletin de l’Association Guillaume Budé : Lettres d’humanité, n°24, décembre 1965, p.477-482
Il s’agit de la traduction de la « Vie d’Eschyle » selon le texte établi par Paul Mazon dans son édition des œuvres d’Eschyle. Ce texte se trouve dans le manuscrit M ou Mediceus qui daterait du X° siècle qui recueille ses œuvres. Le texte, tardif, ne peut être daté.
Jouan François, « Mensonges d’Ulysse, mensonges d’Homère : une source tragique du Discours troyen de Dion Chrysostome », in Revue des Études Grecques, tome 115, janvier-juin 2002, p. 409-416.