dimanche 18 septembre 2016

Servitude et soumission - Montesquieu Du principe du gouvernement despotique

COMME il faut de la vertu dans une république, et dans une monarchie de l’honneur, il faut de la CRAINTE dans un gouvernement despotique : pour la vertu, elle n’y est point nécessaire ; et l’honneur y serait dangereux.
Le pouvoir immense du prince y passe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s’estimer beaucoup eux-mêmes seraient en état d’y faire des révolutions. Il faut donc que la crainte y abatte tous les courages, et y éteigne jusqu’au moindre sentiment d’ambition.
Un gouvernement modéré peut, tant qu’il veut, et sans péril, relâcher ses ressorts. Il se maintient par ses lois et par sa force même. Mais lorsque, dans le gouvernement despotique, le prince cesse un moment de lever le bras ; quand il ne peut pas anéantir à l’instant ceux qui ont les premières places, tout est perdu : car le ressort du gouvernement, qui est la crainte, n’y étant plus, le peuple n’a plus de protecteur.
C’est apparemment dans ce sens, que des cadis ont soutenu que le grand-seigneur n’était point obligé de tenir sa parole ou son serment, lorsqu’il bornait par-là son autorité.
Il faut que le peuple soit jugé par les lois, et les grands par la fantaisie du prince ; que la tête du dernier sujet soit en sûreté, et celle des bachas toujours exposée. On ne peut parler sans frémir de ces gouvernements monstrueux. Le sophi de Perse, détrôné de nos jours par Mirivéis, vit le gouvernement périr avant la conquête, parce qu’il n’avait pas versé assez de sang.
L’histoire nous dit que les horribles cruautés de Domitien effrayèrent les gouverneurs, au point que le peuple se rétablit un peu sous son règne. C’est ainsi qu’un torrent, qui ravage tout d’un côté, laisse de l’autre des campagnes où l’œil voit de loin quelques prairies.

Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), livre III, Chapitre 9 Du principe du gouvernement despotique.

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