samedi 8 octobre 2016

corrigé d'une dissertation : Peut-on penser sans préjuger ?

Le siècle des Lumières nous a habitués à rejeter les préjugés, à considérer que penser consiste à les combattre, voire à simplement les fuir.
Aussi nous semble-t-il évident que penser, c’est-à-dire réfléchir, est possible sans se prononcer avant d’avoir examiné, c’est-à-dire sans préjuger puisque ces deux actes s’opposent.
Pourtant, il n’est pas possible de réfléchir à tout, tout le temps et à tout instant, de sorte que préjuger paraît la condition pour qu’il soit possible de penser plutôt que d’hésiter perpétuellement.
On peut donc se demander s’il est possible de penser sans préjuger.
Penser sans préjuger, c’est refuser les influences et donc les croyances, c’est aussi sombrer dans le flottement perpétuel, c’est enfin penser avec et pour les autres.

Penser, c’est réfléchir. Pour ce faire, il ne faut donc pas se laisser influencer. C’est ce qui se passe quand on préjuge. On a un avis sur quelque chose, ou surtout sur quelqu’un, avant même d’avoir réfléchi. On est donc influencé par autre chose que nous-mêmes. Cela peut être par nos sentiments ou par les coutumes de notre culture. On répète même parfois des connaissances qu’on ne comprend pas. Comment alors ne pas s’appuyer sur les préjugés quand on pense ?
Il faut remettre en cause toutes les croyances, opinions ou préjugés. Il est alors essentiel de chercher des preuves de ce qu’on avance, de transformer en simples hypothèses, c’est-à-dire en pensées qu’on ne tient ni pour vraies ni pour fausses, ce qu’on a jusque là soutenu. De cette façon, il apparaît possible de ne pas se reposer sur des préjugés qui guident notre pensée à notre insu.
Cependant, il faudrait alors toujours réfléchir, toujours douter, finalement ne jamais juger, ce qui est impossible. Préjuger est nécessaire, mais comment peut-on alors penser ?

Seul, l’homme ne peut rien. Il doit tenir compte de ce que lui apportent ses ancêtres comme ses contemporains. On ne peut pas vérifier à chaque moment que tous les pays où nous ne sommes pas existent. Il faut bien pour réfléchir admettre le témoignage de nos contemporains. Sans un minimum de confiance dans nos ancêtres, aucune science ne serait possible. Comment ne pas accepter des siècles d’observations astronomiques ? Il faut donc convenir avec Burke (1729-1797) dans ses Réflexions sur la Révolution de France (1790), que préjuger nous permet de penser et d’agir lorsque nous nous appuyons sur ce que les autres ont accumulé pour nous. Mais ne risque-t-on pas alors de ne pas vraiment penser ?
Préjuger, c’est s’appuyer sur les traditions. Or, lorsqu’on pense, soit pour connaître, soit pour agir, il faut bien ne réfléchir qu’au problème auquel on a affaire. Sinon, on est conduit à douter sans jamais se prononcer. Préjuger permet donc de sortir du doute, de donner une direction à notre pensée. Et douter, ce n’est pas penser, c’est avoir l’esprit qui flotte ou oscille d’une idée à l’autre.
Néanmoins, on ne sort jamais ainsi d’une certaine routine. Pire, on se soumet aux autres. On est conduit alors à ne jamais remettre en cause ce qui peut s’avérer faux et surtout susceptible de nous condamner à une sorte d’esclavage. Comment donc sans tomber dans le doute serait-il possible de penser sans préjuger ?

Préjuger, c’est moins ne pas réfléchir, que se soumettre à ce que les autres nous commandent de penser. C’est pour cela que Kant dans sa Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ?, soutient qu’il faut penser par soi-même. Pour cela, il faut du courage et du travail. Courage d’examiner les idées qui me sont proposées, effort pour repenser ce que les autres ont pensé, qu’il s’agisse de science, de morale ou de médecine, etc. Ainsi n’ai-je pas besoin de tout réinventer. Or, comment savoir que moi-même je n’invente pas de nouveaux préjugés ?
Préjuger, du côté de l’inventeur, c’est imposer aux autres une idée. Pour penser par soi-même, il faut donc penser avec les autres en les incitant à penser librement. C’est même nécessaire.
En effet, le principe pour penser sans préjuger, c’est celui de l’universalité. Autrement dit, une pensée n’est pas un préjugé si et seulement si elle permet l’estime raisonnable de soi de tout homme. Ainsi, c’est un préjugé que de penser que tel peuple est composé de parasites et c’est une pensée que d’admettre que tout homme peut se libérer des préjugés.

Pour penser, il faut réfléchir, donc ne pas préjuger. Mais pour sortir du doute sans fin, il n’est pas nécessaire comme on a pu le voir de préjuger, car alors on se soumet à d’autres. C’est en pensant avec et pour les autres qu’il est possible de penser sans préjuger, sans sombrer dans l’errance du doute.

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