jeudi 3 novembre 2016

corrigé d'une dissertation : Peut-on en finir avec les préjugés ?



Certains préjugés paraissent tellement stupides qu’on s’étonne qu’ils ne disparaissent pas d’autant plus qu’il semble qu’un peu de réflexion suffirait. Peut-on alors en finir avec les préjugés ?
Il semble que la réflexion soit la condition nécessaire et suffisante pour en finir avec les préjugés, c’est-à-dire pour se débarrasser de tous les jugements faits avant tout examen pour les remplacer par des connaissances ou au moins des hypothèses à tester.
Cependant, comme il n’est pas possible toujours et constamment de réfléchir à tous, les préjugés paraissent indéracinables.
Dès lors, on peut se demander s’il y a des conditions qui permettent de remplacer définitivement les préjugés par des pensées solides et réfléchies.


Les préjugés sont toutes les pensées que nous avons avant même tout examen. Or, comment est-ce possible ? Comment affirmer ce qu’on ne connaît pas ? C’est qu’ils ont pour source notre paresse. Dès lors, il n’est pas facile de les déraciner. Pour cela, il faut le courage de penser par soi-même comme Kant le soutient dans son article Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières (1784). Comment pouvons-nous alors tout vérifier ?
En fait, il n’est pas nécessaire de tout vérifier. En effet, il y a des domaines où on doit et peut faire confiance aux autres sans préjugés comme le soutient Kant dans sa Logique. C’est le cas dans les domaines où il faut faire des expériences ou encore s’appuyer sur les témoignages. Ainsi, même le physicien ne refait pas toutes les expériences – il suffit de savoir qu’elles ont été faites plusieurs fois. De même, le policier doit dans son enquête s’en tenir aux témoignages. Par contre, lorsqu’il faut raisonner, chacun peut et doit le faire avec sa propre raison pour retrouver les vérités. C’est bien ce qui se passe en mathématiques où personne ne peut préjuger.
Or, ne peut-on pas faire un pas de plus et dire que même dans le raisonnement, il y a des propositions qu’on doit admettre sous peine de tout recommencer depuis le début ? Dès lors, il serait impossible d’en finir avec les préjugés. Mieux, il ne faudrait pas le vouloir.

En effet, les préjugés sont les condensés de l’histoire. On peut ainsi avec Taine (1828-1893), dans Les Origines de la France contemporaine (1875-1893), considérer qu’ils sont l’accumulation de la longue expérience des hommes, une sorte de raison inconsciente. Aussi ne peut-on en finir avec eux au double sens où nous n’avons pas la capacité et nous n’avons pas le droit d’en finir avec eux. Nous n’en avons pas la capacité parce que sans eux nous perdrions des trésors accumulés. Comme Burke dans ses Réflexions sur la révolution de France (1790) déjà le remarquait, la raison individuelle est bien trop modeste par rapport à ce que toute la tradition apporte. Et nous n’en avons pas le droit, car, ainsi dépouillés de tout ce qui fait notre humanité, nous nous transformerions en loup, c’est-à-dire en bêtes d’autant plus cruelles qu’elles sont craintives. Or, n’y a-t-il pas des préjugés faux ou dangereux ?
Ne pas vouloir en finir avec les préjugés ne veut pas dire les garder tous. Car, la même expérience qui a permis de les établir peut conduire à les éliminer. On peut même user de raison et de réflexion pour en corriger certains. Ainsi trouve-t-on facilement à réfuter les préjugés qui sont des généralisations négatives ou positives relatives à certains peuples. La connaissance d’individus membres de ces peuples suffit à faire disparaître les préjugés les concernant pour qui réfléchit. Par contre, ce qui paraît néfaste et même impossible, c’est d’en finir avec tous les préjugés. Dès lors donc qu’un préjugé ne renferme aucun doute, nul besoin de vouloir le détruire.
Il n’en reste pas moins vrai que les préjugés nous soumettent à des pensées qui ne sont pas les nôtres. De ce point de vue, ils sont néfastes pour notre liberté. Dès lors, ne faut-il pas en finir avec eux ? N’est-ce pas en éradiquant tout ce qui nous attache à eux ?

Les préjugés ont des sources variées selon Alain dans ses Définitions (1953 posthume) : les passions comme la haine ou l’amour, les coutumes de la culture de l’individu. S’il est impossible de ne pas avoir de passions ou de ne pas avoir de coutumes, il est toujours possible de ne pas adhérer aux pensées qu’elles suscitent en réfléchissant, plus précisément en remettant en cause ce qu’on est tenté de tenir pour vrai. Et cette remise en cause est la condition pour déraciner les préjugés. Or, lorsqu’on veut penser, c’est avec l’intention de trouver la vérité. Et lorsqu’on l’a trouvée, on estime de son devoir de la conserver. N’est-ce pas une source de fixation sur les préjugés ?
C’est justement ce qu’Alain montre dans ses Définitions. La vérité exige une sorte de serment à soi : celui de la conserver. Qui a un préjugé l’estime vrai. Il refuse donc d’en changer. Pour pouvoir donc en finir avec les préjugés, il faut, tout en cherchant la vérité, ne pas prétendre la connaître ou la posséder. Autrement dit, il faut que la recherche du vrai demeure l’objectif constant. Ainsi le savant qui cherche admet ses théories provisoirement sur la base des expériences qu’il a faites jusque là. De même, dans le dialogue, celui qui ne préjuge pas, c’est celui qui est prêt à accepter que ses idées soient remises en cause. Il les considère non pas comme des vérités mais comme des hypothèses, c’est-à-dire des propositions qu’on ne tient ni pour vraies ni pour fausses. De la même façon, tout en suivant ses coutumes, celui qui ne préjuge pas peut considérer que celles des autres ont leur valeur.


Disons pour finir que le problème était de savoir s’il était possible et comment d’en finir avec les préjugés. En premier lieu, il apparaît que c’est en pensant par soi-même qu’il est possible de se débarrasser des préjugés en étant l’auteur en quelque sorte de ses pensées. Pourtant, tous les préjugés ne peuvent être transformés en pensée personnelle car nous en héritons comme le legs de nos prédécesseurs à travers la culture. Or, comme ils sont un joug pour nous, pour pouvoir vraiment en finir, il faut déraciner ce qui les renforce jusqu’au fanatisme : croire en la possession de la vérité qu’il faut au contraire toujours chercher.

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