jeudi 27 octobre 2016

Le bien-être sceptique selon Thomas More

Quand les vagues de l’erreur ont passé
Qu’il est doux d’atteindre enfin ton port tranquille,
Et doucement bercé dans le doute onduleux,

De sourire aux vents opiniâtres qui guerroient au-dehors.
Thomas More, Poetical Works

dimanche 9 octobre 2016

Servitude et soumission - biographie de Montesquieu

L’édition utilisée est :
Montesquieu, Lettres persanes, présentation par Laurent Versini, dossier par Laurence Macé, GF Flammarion n°1482, 1995, 2016.

Charles-Louis de Secondat, futur baron de La Brède et de Montesquieu, connu sous le nom de Montesquieu, naît le 18 janvier 1689 au château de La Brède (Guyenne, à côté de Bordeaux). Il est le fils de Jacques de Secondat (1654-1713), et de Marie-Françoise de Pesnel (1669-1720), baronne de La Brède. Il appartient à une famille de magistrats qui a acquis la noblesse par l’épée durant la guerre de cent ans. Il a pour oncle, Jean-Baptiste de Secondat, l’aîné, écuyer, baron de Montesquieu, seigneur de Castelnouvel, Talence et Raymond, président à mortier au Parlement de Bordeaux ( ?-1716). Ses parents lui choisissent pour parrain, Charles, un mendiant, afin qu’il se souvienne toute sa vie que les pauvres sont ses frères.
Le 16 octobre 1696, sa mère meurt après avoir mis au monde une fille.
De 1700 à 1705, il fait ses humanités chez les oratoriens au collète de Juilly (dans l’actuelle Seine-et-Marne à une trentaine de kilomètres de Paris). Il étudie la philosophie au collège d’Harcourt (actuellement Saint-Louis) à Paris.
De 1705 à 1708, il étudie le droit à Bordeaux.
Le 26 février 1708, Louis XIV rappelait aux curés l’obligation de renouveler, tous les trois moi, la lecture de l’édit de février 1556 d’Henri II (1519-1547-1559) qui stipulait que les filles enceintes bien que non mariées doivent avertir un officier ministériel de leur « état » : « quoique la licence et le dérèglement des mœurs qui ont fait de continuels progrès depuis le temps de cet édit en rendent tous les jours la publication plus nécessaire. » (cf. Lettres persanes, lettre CXX d’Usbek à Rhédi). Le 29 juillet, Charles de Secondat est bachelier en droit. Le 12 août, il est licencié en droit et est reçu avocat au parlement de Bordeaux le 14.
De 1709 à 1713, il séjourne à Paris.
En 1710, paraissent les Essais de Théodicée de Leibniz (1746-1716). Montesquieu va les lire puisqu’il en discutera des thèses dans les Lettres persanes (lettre LXIX sur la conciliation entre la prescience divine et la liberté de l’homme et lettre LXXXIII sur la justice divine et le mal). Il constitue un recueil de notes juridiques sur le droit romain, la Collectio juris, qu’il continuera jusqu’en 1721.
Le 17 avril 1711, Joseph 1er (1678-1705-1711), empereur du saint empire romain germanique, meurt (cf. Lettres persanes, lettre CXXX de Rica à ***, la lettre d’un nouvelliste, p.296).
En 1713, il rencontre un chinois nommé Arcadio Hoange (1679-1716), converti au catholicisme, qui a suivi des missionnaires jésuites. Le 13 septembre, le pape Clément XI (1649-1700-1721) édite la bulle Unigenitus ou Constitution (cf. Lettres persanes, lettre XXIV) qui condamne 111 propositions du père Quesnel, ce qui revient à condamner le jansénisme. Le 15 novembre, son père meurt. Il devient baron de la Brède.
Le 12 février 1714, Charles de Secondat achète une charge de conseiller du parlement de Bordeaux. Le 15 novembre, son père meurt. Antoine Houdar de La Motte (1672-1731), poète et académicien qui ignore le grec, met en alexandrins la traduction de l’Iliade d’Anne Dacier (1645-1720) de 1711. Il la réduit de moitié. Il fait précéder sa traduction d’un Discours sur Homère où il remet en cause l’existence du poète mais surtout critique ses défauts littéraires. Madame Dacier réplique avec son ouvrage Des Causes de la corruption du goût : la seconde querelle des Anciens et des Modernes est lancée (cf. Lettres persanes, lettre XXXVI ; lettre CXXVIII de Rica à Usbek, p.292 ; cf. Cammagre Geneviève, « De l’avenir des Anciens. La polémique sur Homère entre Mme Dacier et Houdar de La Motte », Littératures classiques 2/2010, n° 72, p.145-156).
Le 30 avril 1715 à Bordeaux, il épouse Jeanne de Lartigue (1689-1770), une protestante de l’Agenais et de Martillac, terres enclavées dans la baronnie de la Brède (actuellement une commune de la Gironde). Elle est issue d’une riche famille et de noblesse récente. Elle lui apporte l’importante dot de 100 000 livres. Il s’installe rue Margaux (au 29) à Bordeaux. Le 1er septembre, le vieux roi Louis XIV (1638-1715) meurt (cf. Lettres persanes, lettre XCII d’Usbek à Rhédi : « Le monarque qui a si longtemps régné n’est plus. »). Son arrière petit-fils lui succède sous le nom de Louis XV (1710-1774) : le « jeune roi » (Lettres persanes, lettre CVII de Rica à Ibben) a cinq ans. Le 4 septembre, le Parlement de Paris casse son testament qui avait donné certains pouvoirs à ses bâtards, notamment le duc du Maine (1670-1736). Philippe d’Orléans (1664-1723) devient pleinement régent. En septembre, il met en place la polysynodie, un système de conseil qui associe la noblesse organisé par domaines. Elle vise à remplacer les secrétaires d’État du ministère à la façon de Louis XIV (cf. Lettres persanes, lettre CXXXVIII de Rica à Ibben, p.316). En décembre, Montesquieu adresse au régent un Mémoire sur les dettes de l’État. C’est peut-être à cette époque qu’il rédige un Discours sur Cicéron. Dans la nouvelle querelle des anciens et des modernes, Houdar de la Motte réplique à Madame Dacier avec ses Réflexions sur la critique.
Le 10 février 1716, naît à Martillac son fils Jean-Baptiste de Secondat (1716-1795). Jean Baptiste de Secondat, son oncle, perd son fils unique. Il lègue à Charles-Louis ses biens. Le 3 avril, il est élu à l’Académie de Bordeaux. Le 24 avril, son oncle, Jean-Baptiste de Secondat meurt. Charles-Louis hérite d’une vraie fortune et de la baronnie de Montesquieu, dont il prend le nom. En juin et août, le nouveau Montesquieu lit à l’académie de Bordeaux une communication Sur la politique des romains dans la religion. Le 13 juillet, il succède à la charge de président à mortier du parlement de Bordeaux. Le 28 septembre, Montesquieu fonde à l’Académie de Bordeaux un prix d’anatomie de 300 livres (un journalier gagne à cette époque 112 livres par an pour 250 jours de travail).
Le 2 mai 1716, un édit autorise l’écossais John Law (1671-1729) à créer la Banque générale avec un capital de six millions de livres réparties en 1 200 actions de 5 000 livres. La Banque rembourse les billets qu’elle émet en or ou en argent sans tenir compte des cours changeants de sorte que les billets acquièrent une valeur supérieure. Le 14 mai, le régent crée une chambre de justice pour enquêter sur les malversations des financiers (cf. Lettres persanes, lettre XCVIII d’Usbek à Ibben). Durant l’hiver 1716/1717, il séjourne à Paris.
Le 22 janvier 1717 naît sa fille Marie-Catherine de Secondat (1717-1784). Le 10 avril 1717, un nouvel édit élargit les privilèges de la banque créée par Law : les billets qu’elle émet, convertibles à vue, peuvent être reçus en paiement des impôts. Le 23 août, Law obtient la rétrocession des privilèges de la Compagnie de la Louisiane. Le 6 septembre, Law crée la Compagnie d’Occident, pour les colonies françaises d’Amérique et du Sénégal, surnommée la Compagnie du Mississippi. Il obtient alors le monopole commercial de la Louisiane pour vingt-cinq ans, avec pour objectif de peupler la colonie de 6 000 blancs et de 3 000 noirs en dix ans, pour concurrencer l’Espagne et l’Angleterre. Son capital s’élève à 100 millions de livres, réparties en 200 000 actions payables en papier d’État, comportant 4 % de dividendes. C’est un succès : la Louisiane passe pour un pays de cocagne, ce qui attire les capitaux, mais les colons guère nombreux au départ le font surtout pour échapper aux galères. L’opération permet de régler 60 millions de livres de dette publique. Le 15 novembre, Montesquieu lit une communication Sur la différence des génies. L’Éloge de la sincérité est non daté. C’est en 1717 au plus tôt qu’il se procure une édition datée de cette année du roman épistolaire L’espion turc (italien 1684 ; français 1686) de Giovani Paolo Marana (1642-1693) qu’on a retrouvée dans sa bibliothèque. Il lit les Mémoires du cardinal de Retz (1613-1679), rédigées entre l’automne 1675 et le printemps 1677, qui viennent de sortir de façon posthume (cf. Lettres persanes, lettre CXI d’Usbek à ***). Le Czar Pierre 1er (1672-1725) dit Pierre le grand passe trois mois à Paris.
Durant l’hiver 1717/1718, il séjourne à nouveau à Paris.
En 1718, Montesquieu fait des discours et des expériences scientifiques diverses à l’académie de Bordeaux : le 1er mai : Sur les causes de l’écho ; le 29 juin : Sur le gui, sur la mousse des chênes, … ; le 25 août : Sur les glandes rénales. L’abbé de Saint-Pierre (1658-1743) publie la Polysynodie où il critique le despotisme de Louis XIV. Il est exclu pour ce fait de l’Académie française. La polysynodie est supprimée par le Régent le 24 septembre. Le 30 novembre le « fameux roi de Suède » Charles XII (1682-1697-1718) meurt (cf. Lettres persanes, lettre CXXVII de Rica à Ibben). Le 4 décembre 1718, la Banque générale de John Law devient Banque royale avec effet le 1er janvier 1719. Les billets de banque sont désormais garantis par l’État. Le 9 décembre, l’ambassadeur d’Espagne, Antonio del Giudice, duc de Giovinazzo, prince de Cellamare (1657-1733) est expulsé de France. Il complotait pour le compte de son maître, le roi d’Espagne, Philippe V (1683-1746), petit-fils de Louis XIV, qui songeait chasser le régent et devenir roi de France (cf. l’allusion dans les Lettres persanes, lettre CXXVI de Rica à Usbek). Le 27 décembre, l’Angleterre déclare la guerre à l’Espagne.
Le 9 janvier 1719, la France déclare la guerre à l’Espagne. Toujours en janvier, le Nouveau Mercure publie son Projet d’une histoire physique de la terre ancienne et de la terre moderne. Le 2 mars, le baron Henri de Görtz (1668-1719), ancien favori et premier ministre de Charles XII de Suède, est exécuté (cf. Lettres persanes, lettre CXXVII de Rica à Ibben, p.288). La Compagnie du Mississipi de John Law reprend la Compagnie française des Indes orientales, la Compagnie de Chine et d’autres sociétés commerciales rivales : elle devient la Compagnie perpétuelle des Indes. John Law obtient en outre la ferme du tabac et rachète la ferme des impôts indirects aux frères Paris. En juillet 1719, la Banque générale des Indes reçoit la Surintendance des monnaies, c’est-à-dire le monopole d’émission en France. En octobre, enfin, elle reçoit les recettes générales. Montesquieu quant à lui s’intéresse à l’histoire naturelle. Son Essai d’observation sur l’histoire naturelle est lu le 16 novembre.
En 1720, la Banque générale et la Compagnie des Indes fusionnent. Le 5 janvier, John Law est nommé contrôleur général des finances dans le but d’attirer les capitaux. Pour empêcher la thésaurisation de l’or et de l’argent, Law interdit la possession de plus de 500 livres de métaux précieux par foyer, sous peine de confiscation et d’amende. Une récompense est promise aux dénonciateurs. Des perquisitions ont lieu, même chez les ecclésiastiques. Le 11 mars, pour décourager le public de la monnaie métallique, Law suspend la valeur libératoire de l’or, à dater du 31 décembre. Les « semeurs de faux bruits » sont déportés aux colonies, ce qui crée un scandale. Le 24 mars, la rumeur d’une banqueroute est répandue par quelques initiés. Le 1er mai 1720, Montesquieu donne : Sur les causes de la pesanteur. Il achète après le 10 mai les Voyages en Perse (1686) de Jean Chardin (1643-1713) au libraire bordelais Lacourt qui le note. En juillet, les prêts que consent la Compagnie perpétuelle des Indes conduisent à des augmentations successives de capital qui alimentent la spéculation. Paul Féval (1816-1887) la romancera dans Le Bossu (1857). Elle tourne à la baisse voire à l’émeute comme le 17 juillet où il y a 17 morts. Le 21 juillet, une semi-banqueroute est décrétée. Le 25 août, il prononce : Sur la cause de la transparence des corps. Il annonce pour la fin de l’année une Histoire de la terre ancienne et moderne. Entre septembre et octobre, le système de Law est liquidé (cf. Lettres persanes, lettre CXXXVIII de Rica à Ibben, p.316). Le 10 octobre, les billets de la Banque générale n’ont plus cours. Le 14 décembre, John Law s’enfuit après avoir été remplacé par Le Peletier de La Houssaye deux jours plus tôt.
Le 19 mars 1721, le pape Clément XI meurt. En mai, Montesquieu publie anonymement à Amsterdam les Lettres persanes (150 lettres) sans nom d’auteur chez un éditeur, Pierre Marteau basé à Cologne, qui n’existe pas. On peut penser que l’ouvrage a été imprimé chez Jacques Desbordes, à Amsterdam et/ou chez Jacques Brunel supposé basé à Amsterdam mais imprimeur clandestin à Rouen. Une seconde édition revue, corrigée, diminuée et augmentée par l’auteur paraît chez Pierre Marteau. Elle retranche treize lettres de l’édition originale (les lettres I, V, XVI, XXV, XXXII, XLI, XLII, XLIII, XLVII, LXV, LXX, LXXI de l’édition de 1758) et en ajoute trois (CXI, CXXIV, CXLV de l’édition de 1758). L’ouvrage connaît un grand succès. Il connaîtra une trentaine d’éditions jusqu’à la mort de son auteur. Il réside rue du Mirail à Bordeaux. Il a peut-être fait un séjour à Paris en août. En novembre, il lit à nouveau son Essai d’observation sur l’histoire naturelle.
Le 7 août 1722 il part pour Paris. Il commence à fréquenter l’hôtel de Soubise. Peut-être a-t-il fréquenté le club de l’Entresol (créé en 1720, il fonctionne comme un club anglais : on y discutait de questions politiques et économiques). Il est présenté à Mme de Lambert (1647-1733) par l’abbé de Saint-Pierre. Dans son salon, il trouve dans les habitués, Fontenelle (1657-1757) et Houdar de la Motte. On pouvait trouver dans ce salon : le jésuite et homme de lettre le père Claude Buffier (1661-1737), l’homme de lettres, abbé de François-Timoléon de Choisy (1644-1724), Mme Dacier, le mathématicien et astronome Jean-Jacques Dortous de Mairan (1678-1771), l’historien, dit « le président Hénault » (1685-1770), l’écrivain Marivaux (1688-1763), l’homme de lettres et abbé Nicolas-Hubert Mongault (1674-1746), l’écrivain et favori de Madame Lambert Louis-Sylvestre de Sacy (1654-1727), le poète et marquis de Sainte-Aulaire (1648-1742), l’écrivaine Marguerite de Launay baronne Staal (1683-1750), la femme de lettres Madame de Tencin (1682-1749) et mère du jeune d’Alembert (1717-1783), l’homme de lettres et abbé Terrasson (1670-1750). Montesquieu fréquente les salons de l’épouse du marquis Louis de Brancas (1672-1750), Catherine de Nyvenheim, un salon politique. On le retrouve dans le salon de Marie, marquise du Deffant (1697-1780), dans celui de Madame Geoffrin (1699-1777).
Le 25 octobre, Louis XV est sacré roi. En novembre, Montesquieu rentre dans le bordelais.
Au mois de janvier 1723, Montesquieu commence un séjour à Paris. Le 22 février, Louis XV est déclaré majeur. Le 7 août, il quitte Paris. Le 10 août, le cardinal Guillaume Dubois (1656-1723), principal ministre du régent, meurt. Le 18 novembre, il donne : Lettre de Xénocrate à Phérès et une Dissertation sur le mouvement. Le 2 décembre, Philippe d’Orléans meurt.
De mai à août 1724, il séjourne tour à tour à Paris, Versailles et au château de Baye chez Jean-Baptiste Berthelot de Duchy (1672-1740), receveur général des finances de la généralité de Paris. Le Temple de Cnide, poème en prose qui se fait passer pour la traduction d’un auteur grec, paraît en pré-originale dans la Bibliothèque française.
De janvier à février 1725, Montesquieu séjourne à Paris. En mars, Le Temple de Cnide paraît. Le 1er mai, il lit à Bordeaux le Traité des devoirs. Il demeure dorénavant à l’actuelle place des martyrs de la résistance. Le 25 août, il donne De la considération et de la réputation. Le 11 novembre, il fait un discours de rentrée au Parlement de Bordeaux. Le 15 novembre, il prononce à l’Académie de Bordeaux Sur les motifs qui doivent nous encourager dans les sciences. En décembre, il part séjourner à Paris.
Jusqu’à mi-juin 1726, Montesquieu séjourne à Paris. Le 7 juillet, il vend l’usufruit de sa charge de Président à Mortier pour payer ses dettes, ce qui préserve les droits de ses héritiers sur celle-ci. Il obtient une rente de 5200 livres. Le 25 août, il fait l’éloge du duc de la Force (1675-1726), protecteur de l’Académie de Bordeaux, qui venait de mourir le 21 juillet. Le 29 septembre, il travaille au Dialogue de Sylla et d’Eucrate. Le 28 décembre, il donne procuration à sa femme avant de partir à Paris.
Le 23 février 1727 naît Denise de Montesquieu (1727-1800). Son père séjourne toute l’année à Paris. Il se représente à l’Académie française pour succéder à Louis de Sacy. Il déclare qu’il quittera la France s’il n’est pas nommé. Ses adversaires lui opposent ses Lettres persanes. Il pare l’attaque en en faisant faire rapidement une édition expurgée qu’il présente au cardinal de Fleury, ministre de Louis XV, en rejetant sur les éditeurs les fautes qu’on lui avait reprochées. Le 20 décembre a lieu le premier scrutin d’élection à l’Académie française qui est un échec.
Le 5 janvier 1728, Montesquieu est élu à l’Académie française contre le juriste et écrivain Mathieu Marais (1664-1737) malgré l’opposition du parti religieux. Le cardinal de Fleury s’est désintéressé de l’élection. Le 24 janvier, il est reçu par Jean-Roland Mallet (1675-1736) puis prononce son discours de réception. Le 5 avril, il part pour Vienne avec Lord James Waldegrave (1684-1741), premier du nom, ambassadeur du roi d’Angleterre Georges II (1683-1727-1760), et neveu du maréchal de Berwick (1670-1734), maréchal de France. Ils arrivent à Vienne le 26. Le 20 mai, il est de la réception au château de Luxembourg. En juin, il voyage en Hongrie. Il visite les mines de Chemnitz, Neu-Sohl et Königsberg. Le 9 juillet, il quitte Vienne pour Gratz où il arrive quatre jours après. Du 24 septembre au 16 octobre il séjourne à Milan. Le 18 octobre, il visite les îles Borromées. Du 23 octobre au 5 novembre, il séjourne à Turin. Le 9 novembre, il arrive à Gênes. Du 21 au 22 novembre, il a une traversée difficile de Gênes à la Spezzia. Le 1er décembre, il arrive à Florence.
Du 19 janvier au 18 avril 1729, il séjourne à Rome. Du 23 avril au 6 mai, il séjourne à Naples. Puis il retourne à Rome pendant deux mois. Il quitte la cité du Pape le 4 juillet. Du 9 au 17 juillet il séjourne à Bologne. Le 3 août il arrive à Munich après avoir passé par le Brenner et Innsbruck. Du 16 au 23 août, il demeure malade à Augsbourg. Du 29 au 31 août il est à Francfort. Du 1er au 15 septembre, il visite la Rhénanie, notamment ses villes. Il arrive le 24 septembre à Hanovre où il est présenté au roi d’Angleterre, Georges II, originaire d’Hanovre. Début octobre, il visite les mines du Hartz en compagnie de Jean-Frédéric, baron de Stain (1681-1735), ministre du duc de Brunswick. Le 15 octobre, Montesquieu arrive à Amsterdam. Le 31, il part de La Haye, traverse la Manche sur le yacht de Lord Chesterfield (1694-1773) et arrive à Londres le 3 novembre.
Le 23 février 1730, Montesquieu écrit à Chauvelin pour obtenir un poste diplomatique. Il assiste le même jour à une séance au Parlement. Il est élu à la Royal Society le 9 mars. Le 10 avril, il assiste à une violente séance à Westminster sur le port de Dunkerque. Le 23 mai il est initié à la Franc-maçonnerie au sein de la loge londonienne Horn (le Cor) Tavern de Westminster. Le 5 octobre, il est présenté à la reine Caroline de Brandebourg-Ansbach (1683-1737) à Kensington Palace.
Le 6 avril 1731, Montesquieu assiste peut-être au succès de sa protégée Mlle Sallé à Lincoln’s Inn Fields. Le 13 mai, il est de retour à la Brède. Le 25 août, il donne une Description de deux fontaines de Hongrie. Il compose : Mémoires sur les mines, Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, Réflexions sur le caractère de quelques princes et sur quelques événements de leur vie. Il commence son livre sur les Romains. L’ouvrage de Germain-François Poullain de Saint-Foix (1698-1776) paru l’année précédente, Lettres d’une Turque à Paris, écrites à sa sœur au serrail [sic], accompagne une contrefaçon des Lettres persanes, sous le titre Lettres d’une Turque à Paris écrites à sa sœur au Sérail pour servir de supplément aux Lettres Persannes [sic].
En 1732, Crébillon fils (1707-1777) fait paraître un roman épistolaire, Lettres de la marquise de M*** au comte de R***. Le 15 novembre, il donne Sobriété des habitants de Rome.
En mai 1733, part pour Paris où il va séjourner. Le 12 juillet Madame de Lambert décède. Son salon se déplace chez Madame de Tencin.
Le 20 juillet 1734, Montesquieu publie à Amsterdam les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Il commence à fréquenter Madame de Tencin. Le 13 août, il est reçu à la Ferté-Vidame par le duc de Saint Simon (1675-1755), mémorialiste du règne de Louis XIV (ses Mémoires ne paraîtront de façon complète qu’au XIX° siècle). En septembre, il revient à Bordeaux. Montesquieu travaille à Liberté politique, non publiée (qui sera inclue dans ses Pensées). Il fait paraître Réflexions sur la monarchie universelle en Europe puis détruit tous les exemplaires sauf un. Peut-être forme-t-il le projet de De l’esprit des lois. Le 29 novembre, il donne Sur la formation et le progrès des idées.
En 1735, George Lyttelton (1709-1773) fait paraître en anglais et en français les Nouvelles Lettres persanes. Durant l’été, Montesquieu séjourne à Chantilly (qui se situe dans l’actuel département de l’Oise).
En 1736 il donne l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères qui reprend la dissertation Sur la différence des génies. En septembre, il retourne à Bordeaux. Le 2 novembre, il achète pour son fils l’office de conseiller au parlement.
De janvier à avril 1737, il séjourne à Bordeaux. Le 6 avril, à cause de son appartenance à la franc-maçonnerie, Montesquieu est inquiété par l’intendant de Guyenne Claude Boucher (1672-1752, intendant de 1720 à 1743) qui le dénonce au cardinal Fleury (1653-1743). Il continue néanmoins à fréquenter les loges bordelaises et parisiennes. De mai à décembre, Montesquieu séjourne à Paris.
De janvier à octobre 1738, il séjourne à Paris. Il donne une Histoire de France non publiée. De novembre à décembre, il séjourne à Paris. Le 19 novembre, Marie de Montesquieu épouse Joseph Vincent de Guichaner d’Armajan (1707-1766), chevalier d’honneur, conseiller de la Cour des Aides de Bordeaux. Sa dot est modeste : 10 000 livres (cf. François Cadilhon, Jean-Baptiste de Secondat de Montesquieu : au nom du père, Presses Universitaires de Bordeaux, 2008, p.14).
De janvier à février 1739, il séjourne à Bordeaux, de mars à décembre à Paris.
De janvier à mars 1740, il séjourne à Bordeaux, d’avril à décembre à Paris. Le 30 avril, Jean-Baptiste de Secondat épouse Marie-Catherine Thérèse de Mons (1720- ?), héritière d’une vieille famille de noblesse d’épée. Chaque famille apporte 300 000 livres (cf. François Cadilhon, Jean-Baptiste de Secondat de Montesquieu : au nom du père, Presses Universitaires de Bordeaux, 2008, p.14-15).
De janvier à mars 1741, Montesquieu séjourne à Bordeaux. Paraît la traduction du roman épistolaire de Samuel Richardson (1689-1761), Pamela, ou la vertu récompensée (Pamela, or Virtue rewarded), publié l’année précédente en Angleterre. Il travaille huit heures par jour à son futur grand ouvrage De l’esprit des Lois. D’avril à décembre, il séjourne à Paris.
Le 2 février 1742, dix-huit livres de De l’esprit des lois sont achevés. En septembre, il commence la rédaction d’Arsace et Isménie, un « roman oriental », à la demande de la légère, voire scandaleuse, Louise-Anne de Bourbon-Condé, dite mademoiselle de Charolais (1695-1758).
De janvier à août 1743, Montesquieu séjourne à Paris. Voltaire (1694-1778), dans une lettre à Vauvenargues (1715-1747), parle d’une France « d’abord ivre » des Lettres persanes. De septembre à décembre, Montesquieu séjourne à Bordeaux où il se livre à une révision générale de De l’esprit des lois.
Il passe l’année 1744 à Bordeaux.
Le 2 février 1745, il lit De l’esprit des lois chez son ami bordelais Jean Barbot ( ?- ?), président de l’Académie Royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux. Le 25 mars, Denise de Montesquieu épouse son cousin Godefroy de Secondat (1702-1774) à Clairac. Montesquieu donne une dote de 10 000 livres mais sa femme en ajoute 60 000 (cf. François Cadilhon, Jean-Baptiste de Secondat de Montesquieu : au nom du père, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p.16).
De janvier à aout 1746, Montesquieu séjourne à Bordeaux. Il est élu à l’Académie des sciences de Prusse que Leibniz avait fondée en 1700. Son président est depuis l’année précédente le français Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) favorisé par Frédéric II de Prusse (1712-1740-1786). En septembre, Montesquieu retourne à Paris. Il travaille à De l’esprit des lois.
De janvier à octobre 1747, Montesquieu séjourne à Paris. Françoise de Graffigny (1695-1758) fait paraître un roman épistolaire, Lettres d’une péruvienne qui obtient un immense succès immédiat. Montesquieu reprend Arsace et Isménie. En juin, Montesquieu annonce à Maupertuis qu’il a achevé De l’esprit des lois. Il séjourne auprès de l’ancien roi de Pologne et duc de Lorraine depuis 1737 Stanislas Leszczynski ou Leczinski (1677-1766) à Lunéville (actuellement dans le département de Meurthe et Moselle). En juillet, il fait la lecture de De l’esprit des lois à Paris.
De janvier à avril 1748, Montesquieu séjourne à Paris. Il vend définitivement sa charge de président à mortier le 4 avril. Il publie en novembre 1748 à Genève, chez Barillot, sans nom d’auteur : De l’esprit des lois ou du rapport que les lois doivent avoir avec la Constitution de chaque gouvernement, les Mœurs, le Climat, la Religion, le Commerce, etc. Mis en vente à Paris, l’ouvrage connaît immédiatement le succès. Vingt-deux éditions paraissent à Genève en deux ans.
De janvier à juin 1749, Montesquieu séjourne à Bordeaux. De juillet à décembre, De l’esprit des lois est attaqué dans les Nouvelles ecclésiastiques du 9 au 16 octobre.
En février 1750, séjournant à Paris, il répond aux critiques de son œuvre majeure en donnant la Défense de l’Esprit des lois puis les Éclaircissements sur l’Esprit des lois. En septembre, la Sorbonne présente un premier projet de censure du grand ouvrage de Montesquieu. Le 26 novembre, Montesquieu fait enregistrer son testament.
De janvier à mai 1751, Montesquieu séjourne à Paris. Il travaille à une nouvelle édition des Lettres persanes. Il travaille aussi sur De l’esprit des lois. Montesquieu est nommé membre associé de la Société royale des sciences et belles-lettres de Nancy le 20 mars. Il offre à Stanislas Leszczynski, le duc souverain de Lorraine, Lysimaque. L’abbé Jean-Baptiste Gaultier (1685-1755), un janséniste, fait paraître les Lettres persanes convaincues d’impiété. Il critique notamment les lettres qui portent sur la religion (XXXV, XLVI, LXXXIII, XCII et CXXV), la lettre sur le suicide (LXXVI) ainsi que celle sur le divorce (CXVII). Le 29 novembre l’Église catholique romaine interdit le livre – de même que de nombreux autres ouvrages de Montesquieu – et l’inscrit à l’Index, c’est-à-dire dans la liste des ouvrages interdits aux catholiques. Le protestant Angliviel de la Beaumelle (1726-1773) publie une Suite de la défense de l’esprit des lois à Amsterdam en novembre.
En 1752, Montesquieu séjourne à Bordeaux.
De janvier à novembre 1753, Montesquieu séjourne à Paris. Il publie un Mémoire sur la Constitution (Unigenitus) qui propose d’interdire toute dispute sur la querelle du jansénisme afin d’obtenir la paix. En décembre, il revient à Bordeaux. Il commence à écrire l’article « Goût » pour l’Encyclopédie.
De janvier à juillet 1754, Montesquieu séjourne à Paris. Il ajoute et corrige les Lettres persanes dans une édition qui reprend les 150 lettres de la première édition, un Supplément comprenant les trois nouvelles lettres de la deuxième édition de 1721, de huit nouvelles lettres (XV, XXII, LXXVII, XCI, CXLIV, CLVII, CLVIII, CLX de l’édition de 1758), des changements aux lettres LXXXII, XCII, CIX, et XCVII de l’édition de 1758) et un préambule intitulé Quelques réflexions sur les Lettres Persanes qui procèdent à une réfutation de Gaultier qui n’est pas nommé. De juillet à décembre, il est à Bordeaux. Il travaille à une nouvelle édition de De l’esprit des lois. En décembre, Lysimaque est publié. Fin décembre, il repart à Paris.
Le 19 janvier 1755, il tombe malade. Il meurt le 10 février à Paris d’une fièvre inflammatoire. D’après Friedrich Melchior Grimm (1723-1807), Denis Diderot (1713-1784) fut le seul homme de lettres qui assista à son enterrement à Saint Sulpice où il a eu peu de monde (cf. http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/charles-de-secondat-baron-de-montesquieu).
En 1757, son article « Goût » est publié sous le titre d’Essai sur le goût. Il paraît dans le tome VII de l’Encyclopédie.
En 1758, son fils Jean-Baptiste de Secondat et l’avocat François Richer (1718-1790) font paraître l’édition posthume des Lettres persanes. Elle répartit les lettres ajoutées dans l’édition de 1754 à leur place. De même, une nouvelle édition de De l’esprit des lois paraît.


samedi 8 octobre 2016

corrigé d'une dissertation : Peut-on penser sans préjuger ?

Le siècle des Lumières nous a habitués à rejeter les préjugés, à considérer que penser consiste à les combattre, voire à simplement les fuir.
Aussi nous semble-t-il évident que penser, c’est-à-dire réfléchir, est possible sans se prononcer avant d’avoir examiné, c’est-à-dire sans préjuger puisque ces deux actes s’opposent.
Pourtant, il n’est pas possible de réfléchir à tout, tout le temps et à tout instant, de sorte que préjuger paraît la condition pour qu’il soit possible de penser plutôt que d’hésiter perpétuellement.
On peut donc se demander s’il est possible de penser sans préjuger.
Penser sans préjuger, c’est refuser les influences et donc les croyances, c’est aussi sombrer dans le flottement perpétuel, c’est enfin penser avec et pour les autres.

Penser, c’est réfléchir. Pour ce faire, il ne faut donc pas se laisser influencer. C’est ce qui se passe quand on préjuge. On a un avis sur quelque chose, ou surtout sur quelqu’un, avant même d’avoir réfléchi. On est donc influencé par autre chose que nous-mêmes. Cela peut être par nos sentiments ou par les coutumes de notre culture. On répète même parfois des connaissances qu’on ne comprend pas. Comment alors ne pas s’appuyer sur les préjugés quand on pense ?
Il faut remettre en cause toutes les croyances, opinions ou préjugés. Il est alors essentiel de chercher des preuves de ce qu’on avance, de transformer en simples hypothèses, c’est-à-dire en pensées qu’on ne tient ni pour vraies ni pour fausses, ce qu’on a jusque là soutenu. De cette façon, il apparaît possible de ne pas se reposer sur des préjugés qui guident notre pensée à notre insu.
Cependant, il faudrait alors toujours réfléchir, toujours douter, finalement ne jamais juger, ce qui est impossible. Préjuger est nécessaire, mais comment peut-on alors penser ?

Seul, l’homme ne peut rien. Il doit tenir compte de ce que lui apportent ses ancêtres comme ses contemporains. On ne peut pas vérifier à chaque moment que tous les pays où nous ne sommes pas existent. Il faut bien pour réfléchir admettre le témoignage de nos contemporains. Sans un minimum de confiance dans nos ancêtres, aucune science ne serait possible. Comment ne pas accepter des siècles d’observations astronomiques ? Il faut donc convenir avec Burke (1729-1797) dans ses Réflexions sur la Révolution de France (1790), que préjuger nous permet de penser et d’agir lorsque nous nous appuyons sur ce que les autres ont accumulé pour nous. Mais ne risque-t-on pas alors de ne pas vraiment penser ?
Préjuger, c’est s’appuyer sur les traditions. Or, lorsqu’on pense, soit pour connaître, soit pour agir, il faut bien ne réfléchir qu’au problème auquel on a affaire. Sinon, on est conduit à douter sans jamais se prononcer. Préjuger permet donc de sortir du doute, de donner une direction à notre pensée. Et douter, ce n’est pas penser, c’est avoir l’esprit qui flotte ou oscille d’une idée à l’autre.
Néanmoins, on ne sort jamais ainsi d’une certaine routine. Pire, on se soumet aux autres. On est conduit alors à ne jamais remettre en cause ce qui peut s’avérer faux et surtout susceptible de nous condamner à une sorte d’esclavage. Comment donc sans tomber dans le doute serait-il possible de penser sans préjuger ?

Préjuger, c’est moins ne pas réfléchir, que se soumettre à ce que les autres nous commandent de penser. C’est pour cela que Kant dans sa Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ?, soutient qu’il faut penser par soi-même. Pour cela, il faut du courage et du travail. Courage d’examiner les idées qui me sont proposées, effort pour repenser ce que les autres ont pensé, qu’il s’agisse de science, de morale ou de médecine, etc. Ainsi n’ai-je pas besoin de tout réinventer. Or, comment savoir que moi-même je n’invente pas de nouveaux préjugés ?
Préjuger, du côté de l’inventeur, c’est imposer aux autres une idée. Pour penser par soi-même, il faut donc penser avec les autres en les incitant à penser librement. C’est même nécessaire.
En effet, le principe pour penser sans préjuger, c’est celui de l’universalité. Autrement dit, une pensée n’est pas un préjugé si et seulement si elle permet l’estime raisonnable de soi de tout homme. Ainsi, c’est un préjugé que de penser que tel peuple est composé de parasites et c’est une pensée que d’admettre que tout homme peut se libérer des préjugés.

Pour penser, il faut réfléchir, donc ne pas préjuger. Mais pour sortir du doute sans fin, il n’est pas nécessaire comme on a pu le voir de préjuger, car alors on se soumet à d’autres. C’est en pensant avec et pour les autres qu’il est possible de penser sans préjuger, sans sombrer dans l’errance du doute.

lundi 3 octobre 2016

Textes pour le sujet : Le droit d’expression autorise-t-il à soutenir n’importe quelle opinion ?

Quant à l’efficacité de la force et de la rigueur pour modifier les opinions des hommes, l’histoire est remplie d’exemples de leur essai ; mais à peine trouvera-t-on un cas où une opinion ait été éradiquée par les persécutions, sauf là où la violence qui s’est exercée à son encontre s’est employée en même temps à exterminer tous ceux qui la professaient. Je désire seulement que chacun consulte son propre cœur et qu’il en fasse l’expérience : la violence peut-elle contraindre les opinions ? Les arguments eux-mêmes, lorsqu’ils sont poussés avec trop de chaleur, ne nous rendent-ils pas encore plus obstinés dans nos opinions ? Les hommes sont en effet fort soucieux de préserver la liberté de cette partie d’eux-mêmes en quoi réside leur dignité d’hommes et qui, si on pouvait la contraindre, ferait d’eux des créatures très peu différentes des bêtes brutes. Je pose la question à ceux qui, récemment, ont eux-mêmes résisté avec constance à l’emploi d’une force qui s’est révélée sans efficacité, et qui ont montré à quel point elle était incapable de l’emporter sur leurs opinions, alors qu’ils s’empressent aujourd’hui de l’exercer sur les autres : toute la rigueur du monde pouvait-elle les rapprocher d’un seul pas d’une adhésion intime et sincère aux opinions qui prédominaient alors ? Et qu’ils ne viennent pas me dire que c’est parce qu’ils étaient assurés d’être dans le vrai car, dans ce qu’il croit, tout homme est persuadé qu’il a raison.
Locke, Lettre sur la tolérance (1689)

La liberté des opinions ne peut être sans limites. Je vois qu’on la revendique comme un droit tantôt pour une propagande, tantôt pour une autre. Or on comprend pourtant bien qu’il n’y a pas de droit sans limites ; cela n’est pas possible, à moins que l’on ne se place dans l’état de liberté et de guerre, où l’on peut bien dire que l’on se donne tous les droits, mais où, aussi, l’on ne possède que ceux que l’on peut maintenir par sa propre force. Mais dès que l’on fait société avec d’autres, les droits des uns et des autres forment un système équilibré ; il n’est pas dit du tout que tous auront tous les droits possible ; il est dit seulement que tous auront les mêmes droits ; et c’est cette égalité des droits qui est sans doute la forme de la justice ; car les circonstances ne permettent jamais d’établir un droit tout à fait sans restriction ; par exemple il n’est pas dit qu’on ne barrera pas une rue dans l’intérêt commun ; la justice exige seulement que la rue soit barrée aux mêmes conditions pour tout le monde. Donc je conçois bien que l’on revendique comme citoyen, et avec toute l’énergie que l’on voudra y mettre, un droit dont on voit que les autres citoyens ont la jouissance. Mais vouloir un droit sans limites, cela sonne mal.
Mais laissons cette métaphysique. On invoque le droit de parler et d’écrire, sans y vouloir de restriction. Je n’ai qu’à montrer un cas où évidemment personne n’admettra un tel droit pour que la question se pose tout à fait autrement. Or, ce cas, je n’ai pas à le chercher bien loin ; l’écrit et la parole obscènes ne peuvent être permis ; on voudra toujours au moins protéger les enfants ; cette restriction suffit pour faire voir qu’il n’est pas question d’un droit de parler et d’écrire qui serait sans limites.
Cela étonne au premier moment, parce que nous voulons toujours quelque principe abstrait et rigoureux, qui serait comme un article de la Charte Humaine ; dans le vrai, je ne vois qu’un droit ainsi formulable, c’est l’égalité des droits ; cette condition remplie, tous les droits sont discutables, et on peut imaginer des circonstances où les droits les plus clairs soient supprimés, et même le droit à la vie ; car dans un sauvetage, il n’est pas dit qu’on ne mettra pas un citoyen dans quelque poste périlleux ; seulement tout citoyen, dans les mêmes conditions, sera également tenu d’obéir.
Revenons au droit de parler et d’écrire ; il n’est pas seulement limité par les bonnes mœurs ; il l’est par l’ordre et la sûreté publique. Je n’ai pas le droit de louer publiquement le crime ou le vol. Par exemple, les cultes ne sont libres que sous certaines conditions ; on peut imaginer un culte de Bacchus ou de Vénus, imité de l’antique, et qui serait très bien interdit. Quand on lit Rousseau, Montesquieu, Voltaire, au sujet de la tolérance, on est surpris au premier moment de leur prudence sur ce sujet-là ; car ils ne veulent la tolérance que pour les doctrines inoffensives ; et, lorsqu’il s’agit de savoir si une doctrine est inoffensive, c’est l’opinion commune, par la loi et les juges, qui en décidera. Mais d’où viennent ces fausses notions qui courent partout ?
Alain, Propos du 14 février 1911

Pour former l’État, une seule chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement, soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu’il est impossible que tous soient de la même opinion et parlent d’une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l’individu n’avait renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret de sa pensée. C’est donc seulement au droit d’agir par son décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté se former une opinion et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas au delà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l’intention de changer quoi que ce soit dans l’État de par l’autorité de son propre décret. 
Spinoza, Traité théologico-politique (1670), chapitre XX


Si tous les hommes moins un partageaient la même opinion, ils n’en auraient pas pour autant le droit d’imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d’imposer silence aux hommes si elle en avait le pouvoir. Si une opinion n’était qu’une possession personnelle, sans valeur pour d’autres que son possesseur ; si d’être gêné dans la jouissance de cette possession n’était qu’un dommage privé, il y aurait une différence à ce que ce dommage fût infligé à peu ou à beaucoup de personnes. Mais ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion bien davantage que ses détenteurs. Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable : une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur.
John Stuart Mill, De la Liberté (1859), Chapitre II De la liberté de pensée et de discussion.


dimanche 2 octobre 2016

repères : identité/égalité/différence

Identité/égalité/différence.

L’identité se dit de ce qui demeure le même qualitativement.
L’égalité se dit de ce qui quantitativement est le même.
La différence se dit de ce qui ni qualitativement ou ni quantitativement n’est le même.


repères : en théorie/en pratique

En théorie/en pratique.

En théorie se dit de ce qu’on se représente par la raison d’une réalité sociale, voire d’une réalité en général.
En pratique se dit de ce qui se passe dans la réalité ou dans l’action et qui peut s’opposer à ce qu’on se représente en théorie.


repères : persuader/convaincre

Persuader/convaincre.

Persuader au sens étroit, c’est faire tenir pour vraie une croyance en s’appuyant sur les sentiments, les désirs ou les opinions communes du sujet.
Convaincre au sens étroit, c’est faire tenir pour vraie une proposition en s’appuyant sur la raison du sujet.


repères : origine/fondement

Origine/fondement.

L’origine désigne ce qui est le commencement d’une chose, d’une institution, d’un acte, d’une personne, voire sa cause.
Le fondement désigne ce qui fait la validité d’un acte, d’une institution, etc.


repères : obligation/contrainte

Obligation/contrainte.

L’obligation se dit de ce que la loi, juridique ou morale, prescrit soit qu’elle vise le bien, soit qu’elle le définisse.
La contrainte se dit de ce qui entrava la volonté du sujet, soit physiquement, soit mentalement.


repères : légal/légitime

Légal/légitime.

Légal se dit de ce qui est conforme à la loi, que ce soit la loi positive telle qu’elle est donnée ou que ce soit à la loi morale.
Légitime se dit de ce qui est fondé par la loi positive ou se dit de ce qui est moral, éventuellement en opposition avec ce qui est légal.