lundi 24 juillet 2017

Descartes contre les cyniques

Art. 204. De la gloire.
Ce que j’appelle ici du nom de gloire est une espèce de joie fondée sur l’amour qu’on a pour soi-même, et qui vient de l’opinion ou de l’espérance qu’on a d’être loué par quelques autres. Ainsi elle est différente de la satisfaction intérieure qui vient de l’opinion qu’on a d’avoir fait quelque bonne action. Car on est quelquefois loué pour des choses qu’on ne croit point être bonnes, et blâmé́ pour celles qu’on croit être meilleures. Mais elles sont l’une et l’autre des espèces de l’estime qu’on fait de soi-même, aussi bien que des espèces de joie. Car c’est un sujet pour s’estimer que de voir qu’on est estimé par les autres.
Art. 205. De la honte.
La honte, au contraire, est une espèce de tristesse fondée aussi sur l’amour de soi-même, et qui vient de l’opinion ou de la crainte qu’on a d’être blâmé́. Elle est, outre cela, une espèce de modestie ou d’humilité́ et défiance de soi-même. Car, lorsqu’on s’estime si fort qu’on ne se peut imaginer d’être méprisé́ par personne, on ne peut pas aisément être honteux.
Art. 206. De l’usage de ces deux passions.
Or la gloire et la honte ont même usage en ce qu’elles (483) nous incitent à la vertu, l’une par l’espérance, l’autre par la crainte. Il est seulement besoin d’instruire son jugement touchant ce qui est véritablement digne de blâme ou de louange, afin de n’être pas honteux de bien faire, et ne tirer point de vanité́ de ses vices, ainsi qu’il arrive à plusieurs. Mais il n’est pas bon de se dépouiller entièrement de ces passions, ainsi que faisaient autrefois les cyniques. Car, encore que le peuple juge très mal, toutefois, à cause que nous ne pouvons vivre sans lui, et qu’il nous importe d’en être estimés, nous devons souvent suivre ses opinions plutôt que les nôtres, touchant l’extérieur de nos actions.
Descartes, Les passions de l’âme (1649), AT, XI, 482-483.


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