dimanche 18 février 2018

Bachelard : rêverie de mots féminins (texte)

Mais je ne veux dire qu’une des vésanies de mes rêveries de mots : pour chaque mot masculin je rêve un féminin bien associé, maritalement associé. J’aime à rêver deux fois les beaux mots de la langue française. Bien entendu, une simple désinence grammaticale ne me suffit pas. Elle donnerait à croire que le féminin est un genre subalterne. Je ne suis heureux qu’après avoir trouvé un féminin quasi à sa racine, dans l’extrême profondeur, autant dire dans la profondeur du féminin.
Le genre des mots, quelle bifurcation. Mais est-on jamais sûr de bien faire le partage ? Quelle expérience ou quelle lumière a guidé les premiers choix ? Le vocabulaire, semble-t-il, est partial, il privilégie le masculin en traitant bien souvent le féminin comme un genre dérivé, subalterne.
Rouvrir, dans les mots eux-mêmes, des profondeurs féminines, voilà donc un de mes songes sur les vertus linguistiques.
Bachelard, Poétique de la rêverie (1960), Paris, P.U.F., 1968, introduction, p.16-17.


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